Bekar : « C’est depuis l’Olympia que j’ai eu le déclic . »

Frankie & Nikki pour Billboard France
Né à Madrid, Bekar est devenu l’un des visages d’une nouvelle génération du rap français. Porté par une écriture sincère et une production signée Lucci ou Math Syzer, il a sorti 6 projets depuis 2019 jusqu’à son premier album, Plus fort que l’orage, certifié disque d’or en 2024 comme son EP MIRA. L’artiste tente de se démarquer, se livrant à des expériences inédites en carrière.
Pour Billboard France, il évoque sa réconciliation avec son père, sa collaboration prolongée avec son label de toujours Panenka, ou encore son envie de faire profiter la scène locale du Nord de son succès.
Quels ont été tes débuts dans la musique ?
Mes débuts étaient en crew. Il y avait encore un début avant celui-ci mais c’est avec cette deuxième équipe avec laquelle je me lance dans le rap. C’est à cette période qu’à Roubaix je rencontre Lucci, qui est toujours un de mes producteurs. On s’entend tout de suite très bien et on commence à faire des sons ensemble et on se lance à deux directement sur Boréal en 2019.
Début 2020, tu signes chez Panenka, qu’est-ce qui t’a motivé à signer ?
Ce qui m’a notamment plu, c’est le fait que ce ne soit pas une énorme maison de disques. Quand tu es jeune et que tu ne connais rien à ce milieu-là, tu as vraiment une image des maisons de disques en tant qu’énorme industrie.
Chez Panenka, il y avait le côté rassurant d’être dans une plus petite maison avec moins de monde, mais des gens qui sont déterminés autour de toi. Ce qui était motivant aussi c’était de voir ce qu’est devenu un artiste comme PLK alors qu’il était parti un peu comme moi. Antoine Flav (Fonky Flav / Antoine Guéna) est aussi venu à Lille et a eu les bons mots.
Et tu écoutais des rappeurs tels que Hugo TSR à l’époque ?
Hugo TSR et le son Old Boy, par exemple, c’est un son qui m’a traumatisé à un moment donné. En fait, c’est toute cette vague parisienne de l’époque, tous les rappeurs qui passaient sur Grünt, tout simplement. LANIMAL, Georgio, Vald, tout ce mouvement parisien. Mais j’aimais aussi un peu la musique niche de Paris à cette époque-là, tous les jeunes rappeurs comme aujourd’hui. D’ailleurs je trouve qu’il y a une nouvelle vague de jeunes rappeurs très forts à Paris.
Dans Quand il neigeait encore, tu dis, “Mes albums de rap préférés ont dix ans, qu’est-ce qu’on a fait en dix ans à part courir sur un chemin glissant ?”. N’est-ce pas paradoxal alors qu’on a sorti 6 projets en 6 ans ?
Je me rends compte que depuis dix ans, j’ai l’impression de faire la même chose. Je me sens comme quelqu’un sur un vélo, qui a actionné le mouvement, qui a baissé la tête et qui ne l’a jamais relevé.

Est-ce que tu arrives parfois à prendre du recul ?
J’essaye maintenant, mais franchement, j’ai l’impression que quand tu fais de la musique, et que ça commence à prendre, c’est très vite une quête d’accomplissement. Donc c’est dur de prendre du recul. J’ai mis du temps à le prendre. Ces derniers temps, j’ai pu me poser et regarder un peu derrière moi et me dire « Ok, c’est cool, il y a eu du chemin qui a été fait ».
Il y a cinq, six ans, tu disais que ton rêve était de faire le Zénith de Lille. Tu vas le remplir en janvier prochain. Comment est-ce que tu appréhendes cette scène sachant qu’il y aura sûrement ta famille et des amis dans le public ?
C’est depuis toujours mon rêve. Les concerts sont un accomplissement palpable, ce sont des moments qui restent gravés à vie, je me rappelle de chaque concert que j’ai pu faire. Je passe devant le Zénith de Lille depuis que je suis tout petit donc c’est particulier.
Alors, la famille, ça fait toujours quelque chose, je dis toujours à mes parents “pas de messages avant” parce que je ne regarde pas mon téléphone. Sur scène, je ne les regarde pas, même si je sais où ils sont. Ça peut me sortir de mon concert, où c’est uniquement le public et moi. À l’Olympia, je savais exactement où ils étaient, mais je ne les ai jamais regardés. C’est souvent pareil avec mes amis.
Ce qui est particulier avec ton succès, c’est qu’il a débuté pendant la pandémie où on voyait les chiffres monter mais sans pouvoir ressentir l’effet réel. Quel a été ton ressenti sur cette période ?
C’était très dur car j’étais enfermé chez moi. À cette période, je venais de signer, d’accomplir un rêve et d’un coup, j’étais bloqué. C’est triste à dire, mais le Covid a mis un coup d’arrêt dans la carrière de certains artistes qui étaient en développement. Dans le rap français, des artistes étaient en vogue avant le Covid, et tout s’est arrêté juste après.
Mais dans le même temps, ça a ramené une toute nouvelle vague, qui avait cette idée de faire de la musique chez soi, d’apprendre des logiciels. Il y en a déjà qui le faisaient à l’époque mais de manière générale, j’ai l’impression que beaucoup passaient au studio et payaient leur heure. La pandémie a amené ça de nouveau aux jeunes, qui démarrent tous chez eux maintenant.
Et du coup, où étiez-vous avec Lucci pendant le confinement ?
J’étais chez moi et Lucci habitait à 5 minutes. Avant, on allait dans un local que Lucci louait et dans lequel il avait installé un studio. Quand le Covid est arrivé, il s’est dit, « C’est mort, je ne peux pas faire les déplacements comme je veux, je ne peux pas sortir à 4h du matin. » Il a ramené tout dans son appart, il a installé son studio là-bas et on a commencé à faire du son. Cette pièce existait jusqu’à cette année, avant que Lucci ne déménage.

Tu travailles avec un autre producteur, Myth Syzer, qui a collaboré avec beaucoup d’artistes américains notamment, comment est-ce que vous êtes venus à travailler ensemble ?
Alors c’est intéressant parce que ma musique n’est pas du tout ce qu’il écoute à la base. On s’est rencontrés début 2022. Je travaillais avec un pianiste, Wladimir Pariente, qui m’a présenté Syzer. On s’est rencontrés, on a fait un morceau ensemble, qui n’est jamais sorti. On s’est alors dit qu’on allait se revoir pour refaire de nouveaux sons.
Ensuite, sur Plus fort que l’orage, il est sur quelques morceaux, je l’invite parfois en featuring comme sur Vide sentimental. Mais finalement, Syzer, lui qui est bercé par la culture rap-américaine, en fait ce qu’il aime, c’est juste de la musique qui lui procure quelque chose, peu importe l’émotion.
Est-ce que ça t’arrive, de lui envoyer des inspirations que tu as et lui d’en faire des prods ?
Bien sûr, on fait beaucoup ça. Lui, il a une manière de faire du son que je n’avais jamais eu. Il se lève le matin, il se met sur son canapé, allume son ordinateur, sans casque et il arrive à faire une prod en 15 minutes. Ça lui arrive de sampler la radio en direct. C’est hyper instinctif sa manière de faire du son, ça va très vite. Je trouve que c’est toujours de bon goût et c’est ça qui est fort avec lui. Je l’emmène dans d’autres registres dans lesquels il n’était pas forcément allé, des sonorités plus pop et c’est un bon échange mutuel.
Il a travaillé avec beaucoup d’artistes comme Josman, est-ce que vous avez un accord pour qu’il garde les meilleurs prods pour toi ?
Justement, j’ai une anecdote sur Intro de Josman : j’avais posé en premier sur la prod du morceau. J’ai d’abord enregistré seul et ensuite en feat avec Georgio. Puis, sept ou huit mois après, je demande à Syzer si la prod était toujours disponible et il m’a dit que Josman venait de poser dessus. Donc non il n’y a pas d’arrangement pour qu’il garde les meilleurs prods pour moi mais on se connaît bien, on se voit souvent et on sait comment on travaille. Quand il est sur un projet, c’est du 50/50 avec lui, il y va comme si c‘était le sien. Ça m’aide parce que j’ai un autre cerveau qui est autant impliqué sur le projet que moi et il a aussi un œil différent plus détaché.
Sur ton dernier projet, il y a davantage de collaborations, au total sept, pourquoi autant et plus que dans tes précédents projets ?
Je suis de Roubaix donc c’est paumé sur la carte « Rap France ». Il y a sept ou huit ans, quand on ne connaissait personne, les feats se faisaient par les petites rencontres sur Facebook, avec les rappeurs avec qui on parlait, mais c’était tout. Ensuite, avec les projets qui avancent, j’ai parlé à PLK ou SDM avec qui je faisais des concerts il y a cinq ou six ans. Ensuite je suis arrivé à Panenka. Mais en soit, les featurings sont naturels, ce sont des échanges humains pas des calculs entre labels.

Tu ramènes aussi d’autres feats d’artistes plus underground, comme Blandine, comment ces collaborations ont vu le jour?
Je marche au coup de cœur. Si je sens quelque chose j’y vais. Blandine, c’est une expérience un peu plus particulière, dans le sens où c’est Syzer, qui était tombé sur elle sur instagram et qui m’avait proposé de sampler sa musique. Par la suite, elle est venue en studio et on a fini par faire un feat. Mais en tout cas je n’ai pas de barrières, dès que j’aime quelque chose et que je trouve que ça peut apporter un plus, on y va.
Tu vas sortir ton deuxième album, comment est-ce que tu comptes te renouveller ?
Je pense que tout artiste qui évolue depuis des années et qui continue à faire de la musique est obligé de passer par cette case-là. À moins que tu restes cantonné à ton délire et que tu ne veuille pas en sortir, mais ce n’est pas du tout ma manière de voir les choses. Je n’ai plus le même âge, on n’a pas la même vie à 18 ans qu’à 27 ans. Il y a des parties de moi qui s’apaisent, je vois certaines choses autrement, j’ai plus de recul sur pas mal de choses de ma vie. Forcément, ça modifie la recherche musicale. Je ne veux pas faire un Briques Rouges 2.0 ou un Mirasierra 2.0, ça n’a aucun intérêt, je veux évoluer.
Quelle sera la couleur de ton prochain projet ?
Je ne peux pas en dire plus mais j’ai toujours mis la même passion dans ma musique. Je pense que j’ai essayé de développer beaucoup aussi mes interprétations sur certains morceaux, essayer d’autres choses, même de nouvelles manières de poser. Puis après, j’ai évoqué certaines thématiques que je n’avais pas encore abordées. En fait je pense que j’ai poussé les curseurs un peu partout même vers des sons plus pop. Mais après il y a toujours les codes du rap, parce que c’est ma manière d’écrire, ces mêmes schémas, structures, rimes etc…
Tu dis être plus apaisé est-ce que cela a un lien avec ta relation avec ton père ?
C’est vrai, je le sens, même dans mes textes, je sais que j’en parle différemment qu’avant. Je n’ai plus le même regard vis à vis de cette relation-là. Le temps passe, lui s’apaise, vieillit, moi, je vieillis aussi à ma manière mais le rapport de force est complètement différent. Mon frère, ma sœur, tout le monde a grandi, plus personne n’est chez nous. Donc forcément, les relations changent aussi.
Est-ce que tu dirais que la musique a aidé à apaiser cette relation ?
Je pense mais ça aurait pu être autre chose. C’est juste que pendant longtemps, j’étais vraiment perdu dans ce que je voulais faire de ma vie. Il n’aimait pas forcément ma manière de voir la vie, n’avait pas cette vision-là. J’ai mis du temps à vraiment me sentir légitime, à me dire, je suis un artiste parce que ce n’est pas quelque chose que tu peux faire pendant deux ans puis arrêter sans conséquences.
Ç a mis du temps avant que je me dise que je suis un artiste. C’est depuis l’Olympia que j’ai vraiment eu le déclic.Notamment parce que ma famille est venue me voir en concert et s’est rendue compte du fruit de tout ce travail. Après, la musique n’est pas le sujet de tout cette discorde avec mon père mais ça en faisait partie et plus maintenant.

Maintenant que tu as construit ta carrière est-ce que tu vas mettre en avant des artistes émergents ?
Bien sûr, j’en ai pas encore eu l’occasion, mais dès que j’aime quelque chose, en général, je le dis, je like ou j’envoie un message. Pour moi, c’est surtout ça le vrai soutien. Le feat, c’est évidemment formidable, mais pour le moi de 17 ans recevoir un message d’un rappeur que je kiffe de ouf, ça vaut toute la force du monde.
À ton époque, c’était dur de venir du Nord et de faire du rap ?
En tout cas, je ne m’en rendais pas compte. J’ai l’impression que c’était quand même une force aussi, le fait de de venir d’un endroit différent que ceux qu’on pouvait voir dans le rap, entre Paris et Marseille. Donc, j’avais l’impression que ça me différenciait. C’est sûr que ce n’est pas un frein, mais c’est plus dur. Je pense que c’est un peu plus dur quand même, de se faire connaître, de rentrer dans une sphère, d’avoir du public. Mais en même temps, les gens de Lille te soutiennent jusqu’à la fin. Ils sont fiers d’avoir des artistes qui viennent de chez eux et ça, ça régale.
Propos recueillis par Ulysse Hennessy pour Billboard France