Festival de Sanremo : le jeu télévisé qui décide de la carrière des artistes italiens ?
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Olly, vainqueur du Festival de Sanremo 2025, pour Billboard Italia
Crédit : Alessandro Treves
Au cœur de l’hiver italien, un rendez-vous télévisé fait vibrer tout un pays. Le Festival de Sanremo, bien plus qu’une simple compétition musicale, est devenu au fil des années un véritable tremplin pour les artistes nationaux, capable de propulser ou de redéfinir des carrières en seulement quelques minutes de prestation.
Cette santa settimana di Sanremo (semaine sacrée de Sanremo), comme l’appellent les Italiens, représente un moment unique, sans équivalent en France, où tout le pays se réunit autour de l’émission, transformant chaque performance en un potentiel moment historique pour la musique italienne.
Sfera Ebbasta, boycotté par Sanremo ?
L’édition 2025, qui s’est déroulée du 11 au 15 février, avait fait parler d’elle avant même son lancement. La raison ? L’absence remarquée de Sfera Ebbasta, l’une des plus grandes stars du rap italien. Le 2 décembre 2024, l’artiste partageait un message cryptique sur Instagram : « J’avais toutes les qualités requises pour Sanremo », accompagné d’une photo où il fait un doigt d’honneur. «
Un message qui n’a pas manqué de faire réagir, notamment le rappeur Shiva qui commentait : » Je ne vais pas à Sanremo, je suis trop street. «
Comme l’explique Federico Durante, rédacteur en chef de Billboard Italie : » Nous ne savons même pas s’il a été réellement exclu : nous pourrions le déduire d’un post Instagram qu’il a publié début décembre, mais ensuite le directeur artistique et présentateur principal de Sanremo 2025, Carlo Conti, a déclaré que Sfera Ebbasta n’avait rien envoyé. «
Une relation difficile entre le rap et Sanremo
Cette polémique illustre la relation complexe qu’entretient le Festival avec la scène rap italienne. Malgré la domination du genre dans les charts du pays, ils sont peu nombreux à y prendre part.
Federico Durante souligne cette dynamique particulière : « Il est vrai que Sanremo a une relation difficile avec la scène rap/trap, et vice versa : même si c’est de loin le genre le plus populaire en Italie, seule une poignée d’artistes hip-hop participe chaque année ; d’autre part, certains rappeurs craignent qu’une participation à Sanremo leur fasse perdre en crédibilité. »
Le plus vieux jeu télévisé musical au monde
À 75 ans, le Festival de Sanremo est une véritable institution en Italie. Plus ancien que l’Eurovision, il a débuté en 1951 dans la salle de bal du casino de la ville côtière de Sanremo, avant de s’installer définitivement au Teatro Ariston en 1977.
Cette longévité exceptionnelle témoigne de sa capacité à se réinventer et à rester pertinent à travers les époques. Au fil des décennies, le Festival est devenu bien plus qu’un simple concours de chanson : c’est un miroir de la société italienne, un baromètre des évolutions culturelles et sociales du pays, de la censure de 2015 envers Conchita Wurst, présentée sous son deadname et privée du traditionnel bouquet de fleurs, jusqu’à l’inclusivité revendiquée des éditions actuelles.
Le rendez-vous de l’audiovisuel italien
Avec plus de 12,5 millions de téléspectateurs et 66% de part d’audience en moyenne, Sanremo domine chaque année le paysage audiovisuel italien. L’édition 2025, présentée par Carlo Conti, a vu la victoire du jeune Olly, 23 ans, avec sa chanson Balorda Nostalgia, devant Lucio Corsi et Brunori Sas. Un succès qui ne se dément pas et qui génère des revenus publicitaires considérables : 60 millions d’euros en 2024 et 67 millions prévus pour 2025. Cette popularité s’étend désormais au-delà de la télévision traditionnelle, avec une présence massive sur les réseaux sociaux et des records d’engagement en ligne.
Le titre vainqueur, systématiquement certifié
Depuis 2010, le succès commercial du vainqueur est garanti : chaque single gagnant a été certifié. La décennie 2020 a même vu tous les titres vainqueurs obtenir au minimum la certification triple platine, avec un record pour Brividi de Mahmood et Blanco, certifié huit fois platine (soit plus de 800 000 équivalent-ventes).
Cette réussite commerciale systématique témoigne de l’impact considérable du Festival sur le marché musical italien, où un single de platine correspond à 100 000 équivalent-ventes, soit 18 millions de streams premium. Le Festival est ainsi devenu un véritable accélérateur de carrière, capable de transformer une simple participation en succès commercial durable.
Au-delà des titres, des carrières façonnées par le Festival
L’impact de Sanremo sur les carrières peut être spectaculaire, parfois de manière inattendue. Federico Durante nous raconte l’exemple frappant de Tananai : « Il était encore un artiste émergent lorsqu’il a participé à l’édition 2022 du Festival avec sa chanson Sesso Occasionale. Le manque de popularité, combiné à une performance vocale pas toujours impeccable, lui a valu la dernière position au classement final – 25e sur 25 participants. Mais alors quelque chose s’est produit : sa réaction drôle et joyeuse quand il a appris le classement est devenue virale, les gens ont adoré son attitude désinvolte et Sesso Occasionale a commencé à résonner de plus en plus avec un public toujours croissant. Finalement, c’est devenu un véritable tube de l’été en Italie et a fait de Tananai l’un des plus grands noms de la nouvelle scène pop italienne. »
Mahmood et Måneskin, figures de proues
Les plus grands succès récents du Festival illustrent aussi son potentiel international. Le groupe Måneskin a vu sa carrière décoller après sa victoire à Sanremo, avant de conquérir le monde via l’Eurovision. Mahmood, vainqueur en 2019 avec Soldi puis en duo avec Blanco, a également connu un succès qui dépasse les frontières italiennes.
Ces artistes sont devenus les ambassadeurs d’une nouvelle génération de la musique italienne, capable de séduire un public international tout en conservant son identité culturelle. Leur réussite démontre une capacité nouvelle du Festival à repérer et à propulser des talents susceptibles de rayonner bien au-delà des frontières de la péninsule.
L’impact international du festival avait été très visible l’année dernière, où sept morceaux du Festival de Sanremo ont intégré des classements Billboard : le Global 200 (classement mondial des morceaux) et le Global Excl. US (même classement, mais ne prenant pas en compte les États-Unis). Ainsi étaient rentrés dans les classements : Sinceramente d’Annalisa, Tuta Gold de Geolier, I p’ me, tu p’ te de Mahmood, ou encore La Noia d’Angelina Mango.
Un jeu à double tranchant
La pression peut être écrasante pour les artistes, comme l’explique Federico Durante : « L’édition 2024 en a donné deux exemples frappants : Sangiovanni, après une 29ème place sur 30, a mis sa carrière en pause pour une durée indéterminée. Même la gagnante, Angelina Mango, a dû annuler sa tournée européenne, dont deux dates à guichets fermés à Paris, face à la pression médiatique. »
Ces cas ont ouvert un débat nécessaire sur la santé mentale dans l’industrie musicale italienne. Le Festival de Sanremo, tout en restant une opportunité unique pour les artistes, peut également cacher un trop-plein de pression, difficile à supporter pour les artistes.