Miki : « J’essaie d’être insensible aux commentaires, qu’ils soient positifs ou négatifs »

Depuis l’été 2024 et la sortie de deux singles « jtm encore » et « échec et mat », Miki est partout. Son concert du 12 mars au Cabaret Sauvage est complet, une date à L’Olympia se profile en octobre… Et la chanteuse se prépare à dévoiler ce vendredi 7 mars son premier EP « graou ».
Nous la rencontrons dans une loge de la Maison de la Radio, avant une prestation prévue le soir même sur France Inter, aux côtés de Solann et Yoa.
Pour Billboard France, Miki parle de sa collaboration avec Tristan Salvati et Canblaster, de l’importance de la Corée, de son rapport aux critiques et de l’émergence d’une nouvelle scène musicale française influencée par les musiques électroniques.
Je me retrouvais souvent dans des caves et des garages à faire de la musique avec des personnes un peu loufoques.
Ton parcours artistique semble avoir été marqué par plusieurs phases avant d’arriver à la sortie de ton EP. Peux-tu nous raconter comment tout a commencé ?
J’ai grandi au Luxembourg dans un environnement très international. À l’époque, j’envoyais des démos à Sacha Rudy, qui les retravaillait à sa façon. Mon premier morceau s’appelait moi je. C’était un titre qui, bizarrement, était déjà très proche des paroles que j’écris aujourd’hui, bien que je sois passée par différentes phases créatives entre-temps.
J’ai ensuite commencé à faire de la musique avec mon ami Lucas Simon, que je connais depuis l’âge de 14 ans. On s’est connus au Luxembourg, mais lui est belge. J’allais régulièrement à Bruxelles, dans le quartier Herrmann-Debroux, et on travaillait dans son garage. Après mes études, je suis partie en Corée, puis je suis revenue pendant la période du Covid. C’est là que j’ai vraiment commencé à sortir mes premiers morceaux.
Ce voyage en Corée semble avoir été un moment déterminant pour toi. Qu’y cherchais-tu ?
J’y suis allée pour me reconnecter avec cette partie de mon identité que j’avais un peu reniée pendant longtemps. C’était une quête de moi-même, en quelque sorte. Je pensais que la Corée m’accueillerait à bras ouverts, mais ça a été plus complexe. Il y a eu une forme de choc culturel.
Je me suis autorisée à devenir la version la plus chelou de moi-même parce que j’avais pas de référents, d’amis ou de gens avec qui je pouvais faire des mimétismes d’action. J’avais aucun autre choix ou réflexe que d’être juste moi-même. Quand je suis rentrée, je me comportais d’une manière qui m’était beaucoup plus confortable. Je pense que des gens se sont dit : « Ah ouais tu es… T’as changé, un peu. » J’avais moins de filtres.

Après ton retour de Corée, tu as commencé à travailler dans différents domaines tout en développant ta musique. Comment s’est passée cette période ?
J’ai déménagé à Paris, où j’ai d’abord travaillé chez RVZ, une boîte de location de matériel de cinéma. Je réparais des câbles et nettoyais des moniteurs à Ivry. C’était marrant, car sur ce trajet, j’ai découvert des sons incroyables, notamment Yellow Magic Orchestra qui est devenu l’un de mes groupes préférés.
Ensuite, j’ai travaillé dans une boîte de production de documentaires où je faisais du montage. C’est là que j’ai rencontré des gens qui faisaient de la musique dans une cave à Belleville. Je me retrouvais souvent dans des caves et des garages à faire de la musique avec des personnes un peu loufoques. J’étais timide, mais petit à petit, les choses ont commencé à prendre de l’ampleur et j’ai commencé à faire des concerts.
Ce qui devait être un séjour de six mois à Paris en attendant la fin du Covid s’est transformé en une installation permanente. Ça fait maintenant quatre ans que je suis là.
Pour moi, ça n’avait pas de sens que les gens puissent trouver sur ma page des morceaux qui n’étaient pas en adéquation avec le sérieux que je mets désormais dans ce que je fais.
Tu as récemment effacé une grande partie de tes anciennes créations. Pourquoi ce choix ?
J’ai traversé beaucoup de phases d’écriture et de styles différents. Au début, j’essayais même de faire de la musique techno. Je me suis longtemps cherchée musicalement et je me cherche toujours, d’ailleurs.
Mais il y a eu un déclic quand j’ai décidé que la musique était vraiment mon métier. Mon engagement envers mon travail est devenu complètement différent. Pour moi, ça n’avait pas de sens que les gens puissent trouver sur ma page des morceaux qui n’étaient pas en adéquation avec le sérieux que je mets désormais dans ce que je fais.
Si c’est stressant ? Pas vraiment, j’ai juste nettoyé mon Insta. Même des trucs qui me faisaient trop kiffer, parce que je fais beaucoup de vidéos, beaucoup de montages qui m’ont pris des heures et des heures. J’ai tout archivé. Et en fait, même dans ma tête c’est clean. Peut-être que je les remettrai plus tard. Il n’y a pas de « c’est fini pour toujours », c’est juste que maintenant, pour que je puisse avancer de la manière que je veux, j’avais le besoin de faire ce ménage.

Ta musique mélange différentes influences : des rythmes électroniques, des mélodies plus pop, des paroles souvent introspectives… Comment décrirais-tu ton processus créatif ?
Au début, je faisais d’abord le son puis j’ajoutais des paroles qui allaient avec. Maintenant, c’est l’inverse. Je veux que mes textures et mes sonorités partent des mots, que ce soient les mots qui guident la musique. Ce changement d’approche s’est fait progressivement, et le déclic est vraiment arrivé à l’été 2023.
Je fais toutes mes démos et je compose tout moi-même. Quand je sens que j’ai trop la tête dans le guidon, que mes morceaux font sept minutes avec des parties instrumentales dans tous les sens, je vais voir des personnes dont je respecte l’avis. Dans 99% des cas, je trouve que recevoir un avis extérieur et collaborer améliore le morceau.
J’aime beaucoup intégrer des textures sonores, des bruits naturels. J’enregistre des sons du quotidien, des portes qui craquent, des chiens qui aboient… Ces textures créent un univers, un écosystème qui a sa propre musicalité. Je passe ces sons dans mon synthé et je vois quelle sonorité va dans quelle famille. J’aime aussi garder certaines imperfections, comme les voix de démos qui ont une énergie particulière.
Dans 99% des cas, je trouve que recevoir un avis extérieur et collaborer améliore le morceau.
Tu travailles notamment avec des producteurs comme Tristan Salvati et Canblaster. Comment s’est construite cette collaboration ?
Tristan m’a été présenté par mon label, Canblaster est arrivé par des amis communs. À trois, on forme un mélange qui pourrait sembler improbable, mais qui fonctionne parfaitement.
Avec Canblaster, on partage les mêmes références de films japonais et de musique électronique : Neon Genesis Evangelion et tous les Miyazaki, les trucs comme ça. On a la même sensibilité pour les mélodies et les accords. Tristan, lui, est un véritable architecte qui sait comment optimiser chaque partie de mes démos et structurer les morceaux. Il sait me dire quand quelque chose peut tenir un refrain. Tristan est très fort pour mettre la voix là où elle doit être et Canblaster plus pour les parties instrumentales.
Mes démos de base sont beaucoup plus électro, plus techno. Je ne vais jamais naturellement vers un territoire plus pop ou plus chaloupé, ce n’est pas mon réflexe. Tristan m’emmène dans cette zone et c’est là toute la richesse de notre collaboration. Il m’emmène dans des endroits où je n’aurais jamais pensé aller, mais qui me font dire « putain c’est beaucoup mieux comme ça ».

La Corée semble occuper une place importante dans ton identité artistique. Comment influence-t-elle ta musique ?
La Corée est comme un refuge pour moi, notamment au niveau de la sonorité de la langue. On fait souvent les yaourts en anglais, je trouve que le coréen est encore plus confortable dans la texture des mots. Le français est une langue qui renvoie à des choses très précises, ce qui peut parfois être gênant quand on chante. Le coréen, c’est mon petit bonbon, quelque chose qui m’appartient.
Cette influence se retrouve aussi dans mes mélodies. Par exemple, dans héroïne, il y a des lignes mélodiques typiques qu’on pourrait entendre dans une chanson K-pop des années 70. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la K-pop existe depuis longtemps, avec des groupes comme Sobangcha qui avaient déjà cette énergie collective sur scène.
J’essaie de ne pas trop me laisser aller à ces influences asiatiques même si j’adorerais mettre partout des petites mélodies très japonisantes et coréennes. Je recherche plutôt une fusion, quelque chose qui n’existe pas encore.
Tu as un parcours assez atypique, passant des petites caves à des salles comme L’Olympia en quelques années. Comment vis-tu cette évolution ?
Quand j’ai commencé à signer avec des labels, je n’avais même pas conscience que je devrais faire des concerts. Pour moi, c’était juste du studio, et c’était cool comme ça. J’ai découvert que les concerts faisaient partie du deal, et au début, c’était difficile. Je ne savais pas comment me présenter sur scène, ni ce que les gens attendaient de moi.
J’essaie d’être insensible aux commentaires, qu’ils soient positifs ou négatifs.
Plus j’ai avancé, plus j’ai appris. Les concerts m’ont énormément aidée à affiner mon approche. J’aime tester des démos sur scène, voir comment elles sont reçues, puis ajouter des éléments en live. Sur scène, on est dans quelque chose de plus viscéral, plus animal, plus primitif que dans un studio, et cette énergie est précieuse pour les versions studio finales.
Pendant deux ans, j’ai joué des morceaux en live qui ne sortiront jamais. J’ai créé une cinquantaine de démos pendant cette période d’attente entre ma signature et la sortie de mon premier EP. C’est une tonne de travail invisible mais essentiel. Donc oui, ça peut sembler rapide de l’extérieur, avec L’Olympia programmé pour octobre, mais en réalité, le chemin a été long.
Comment gères-tu les critiques et les attentes dans un milieu aussi exposé que la musique ?
J’essaie d’être insensible aux commentaires, qu’ils soient positifs ou négatifs. Bien sûr, je suis plus affectée par le négatif, mais j’essaie de les garder à distance. Si je laisse les commentaires positifs m’influencer, alors je dois aussi accepter l’influence des négatifs.
Ça sert à rien de me justifier mais à ce moment là (l’été 2024), j’étais en mode “putain j’ai “bossé pendant tout ce temps et, et on me crache dessus alors que je me suis sorti les doigts du cul pendant 3 ans”.
Ce qui compte vraiment, c’est d’avoir confiance en ce que je fais, en ma direction artistique et en la qualité de mon travail. Je n’ai pas besoin d’une validation extérieure. Cela dit, je reste attentive aux avis des personnes dont je respecte la vision artistique.

Ces dernières années ont vu émerger une nouvelle scène musicale française influencée par les musiques électroniques. Te sens-tu partie prenante de ce mouvement ?
Absolument. Je parlais récemment avec Yoa et nous étions d’accord sur le fait qu’il se passe quelque chose de nouveau en France. Des artistes comme elle ou Iliona en Belgique, avec qui je suis amie, font partie de cette nouvelle vague. J’ai un respect total pour celles comme Iliona produisent aussi leur propre musique, elle produit notamment pour Yoa. Je pense aussi à ELOI ou Oklou.
Même si c’est important de savoir collaborer, pour moi, les productrices ont cette vision d’un monde qu’elles ont envie de créer. C’est quelque chose dans lequel je me retrouve beaucoup et que je respecte. Je pense qu’on est dans l’ère du crossover, pas seulement en musique mais aussi dans la mode et d’autres domaines culturels.
J’ai un respect total pour celles comme Iliona produisent aussi leur propre musique. Je pense aussi à ELOI ou Oklou.
Quels sont tes projets pour les mois à venir ?
Je me prépare pour mes prochains concerts, notamment celui au Cabaret Sauvage le 12 mars et bien sûr L’Olympia en octobre. C’est rapide, mais ça fait suite à une longue période d’attente et de travail. J’ai hâte de partager mes nouveaux morceaux avec le public et de continuer à explorer de nouvelles directions musicales.
Ce qui me tient vraiment à cœur, c’est de rester fidèle à moi-même tout en continuant à me renouveler. Je veux créer une musique qui soit vraiment authentique, qui raconte mon histoire, mes expériences, avec toutes les influences qui me constituent, qu’elles soient françaises, coréennes ou issues de mes découvertes musicales à travers le monde.
