L’incertitude des marchés mondiaux pourrait-elle stimuler les investissements dans la musique?

Les analystes financiers prévoient un regain d'intérêt pour les catalogues musicaux et les titres de dette adossés à la musique, malgré les turbulences de la guerre commerciale.

Crédit : The Big Short

La hausse des droits de douane mondiaux décrétée par Donald Trump – et suspendue pour 90 jours ce mercredi 9 avril – ont plongé les marchés financiers dans une spirale baissière et gelé la plupart des introductions en bourse phares prévues cette année. Si les indice boursiers ont rebondi fortement après la décision du Trésor américain de ramener la majorité des taxes à un taux uniforme de 10% (la Chine faisant exception), certains experts y voient paradoxalement une fenêtre d’opportunité pour les actifs musicaux dans les prochains mois, les investisseurs étant en quête de valeurs refuges.

La musique, valeur refuge contre les tempêtes boursières

Deux segments se démarquent particulièrement : l’acquisition de droits d’auteur musicaux et l’investissement dans les produits financiers complexes adossés à ces mêmes droits. Interrogés par Billboard, plusieurs experts en droits d’auteur, spécialistes de l’évaluation musicale et banquiers du secteur culturel estiment que ces actifs devraient attirer davantage les grands investisseurs cherchant à sécuriser leurs liquidités et à se protéger contre la chute des marchés boursiers. L’argument massue ? Depuis plus de dix ans, les catalogues musicaux affichent une remarquable stabilité de rendement, même en périodes de récession, offrant une porte de sortie relativement aisée aux investisseurs pressés de récupérer leurs mises.

« Le marché des redevances a fait preuve d’une sérénité remarquable ces derniers jours, en contraste flagrant avec les soubresauts observés ailleurs », souligne Stephen Otter, directeur général du fonds suisse Partners Group. « De nombreux investisseurs tablent sur la résilience de leurs portefeuilles, comme lors des précédentes crises économiques ou géopolitiques, même s’il est encore tôt pour tirer des conclusions définitives ». Acteur majeur du secteur via ses participations dans Harbourview Equity Partners, Round Hill Music et Lyric Capital Group, Partners Group a créé en février sa propre division dédiée aux investissements dans les droits d’exploitation, couvrant musique, santé et énergies renouvelables, avec l’ambition de gérer 30 milliards de dollars d’actifs d’ici 2033.

« Dans ce climat d’incertitude, nous anticipons une diversification accrue des portefeuilles, avec un intérêt croissant pour des classes d’actifs alternatives comme les redevances », précise Otter.

Le streaming, pilier de stabilité dans la tourmente économique

L’explosion de l’abonnements au streaming musical, qui a généré 51% des revenus mondiaux de la musique enregistrée en 2024 selon l’IFPI, a largement contribué à stabiliser les flux de revenus et à renforcer leur prévisibilité. Même si les ayants droit demeurent exposés aux fluctuations économiques – particulièrement à travers les budgets publicitaires et les dépenses de loisirs – « le streaming musical fait généralement preuve d’une résistance exceptionnelle et permet habituellement de compenser les pertes sur d’autres segments« , estime Brad Sharp, associé principal chez Virtu Global Advisors.

À Baltimore, la banque d’affaires spécialisée Shot Tower Group confirme l’appétit intact des investisseurs pour les actifs musicaux, et ce malgré plusieurs rapports pointant un ralentissement récent de la croissance du streaming. Cette tendance pourrait néanmoins s’inverser en cas de prolongation de l’instabilité macroéconomique ou d’escalade dans les tensions commerciales internationales.

« Nous n’avons observé aucun signe de ralentissement sur le marché musical pendant cette semaine mouvementée« , déclare Brian Richards, directeur associé d’Artisan, banque d’affaires spécialisée dans le secteur musical.

Les produits financiers adossés à la musique en plein essor

Deux informateurs privilégiés anticipent une intensification à court terme des opérations sur les marchés obligataires musicaux. Ces derniers 18 mois, plusieurs poids lourds du secteur – Concord, HarbourView ou encore Recognition (ex-Hipgnosis) – ont mobilisé d’importantes ressources financières en émettant des obligations garanties par leurs catalogues de chansons.

Ces mêmes sources prévoient une multiplication de ces instruments financiers sophistiqués, portée par la dynamique haussière des obligations d’entreprises depuis janvier et le resserrement consécutif du différentiel de rendement avec les bons du Trésor – signe généralement interprété comme favorable par les acteurs du marché.

Selon Shot Tower, au moins une entreprise du secteur musical devrait émettre des titres adossés à des actifs en avril, ce qui donnerait une bonne indication du moral des investisseurs. Toutefois, la firme prévient que si le climat chaotique des marchés et l’incertitude mondiale persistent, les catalogues musicaux proposés à la vente pourraient se faire plus rares et les conditions de financement devenir plus sélectives.

Préoccupations concernant d’éventuelles mesures de rétorsion

Des craintes émergent concernant d’éventuelles taxes de représailles qui pourraient frapper les plateformes numériques comme Apple Music, Amazon, Meta et YouTube, voire même compliquer la perception des droits d’auteur.

« Les industries créatives font partie des rares secteurs américains excédentaires dans leurs échanges avec l’étranger », souligne Richard Burgess, PDG de l’A2IM (American Association of Independent Music), dans un email envoyé aux membres la semaine dernière. « Nous suivrons donc attentivement toute mesure de rétorsion visant la musique américaine, qu’il s’agisse de taxes douanières ou d’actions plus directes comme la suspension des versements de droits. »

Quelles perspectives pour le secteur musical ?

Un blocage des versements est peu probable, selon Sharp, ou pourrait être limitée à des pays comme la Chine qui connaissent des tensions plus élevées avec les États-Unis ; mercredi, le Trésor américain a augmenté le droit de douane sur les produits en provenance de Chine à 125 % suite à l’imposition par le pays de tarifs de rétorsion sur les produits fabriqués aux États-Unis.

« Une augmentation des tensions économiques mondiales pourrait entraîner une hausse de la consommation de contenus plus localisés par pays ou par région », explique Sharp. La politique économique pourrait également entraîner une inflation plus élevée, ajoute-t-il, « ce qui aura potentiellement un impact sur les taux d’intérêt et un effet indirect sur les évaluations. »