Comment le Brésil façonne la pop de demain ?

Depuis la fin 2023, une vague en provenance du Brésil sur la pop mondiale. Les rythmes du pays envahissent les charts mondiaux et reconfigurent le paysage musical global. Ce phénomène, initié par des collaborations stratégiques et propulsé par les réseaux sociaux, inspire désormais les plus grands producteurs internationaux et redéfinit les contours de la pop contemporaine.

Le Brésil, riche de traditions musicales comme la bossa nova, le forró ou la samba, voit aujourd’hui des sonorités nouvelles prendre le dessus : baile funk, sonorités électroniques contemporaines accèdent désormais à une reconnaissance mondiale sans précédent. En tête de ce mouvement : The Weeknd, qui a choisi São Paulo comme laboratoire créatif pour son nouvel album, Hurry Up Tomorrow, et Anitta, l’enfant prodige du funk carioca devenue superstar planétaire.

The Weeknd : de Toronto à São Paulo, le choix d’une renaissance créative

En septembre 2024, The Weeknd a surpris l’industrie en révélant que son prochain album, Hurry Up Tomorrow, avait été conçu en grande partie à São Paulo. C’est d’ailleurs dans cette ville “badalada” qu’il joue pour la première fois son album, le 7 septembre, à travers un concert exclusif pour lequel plus de 420 000 fans ont tenté d’acheter leur billet, qu’il a dévoilé en partie l’album « Je peux parler au nom de tous les artistes quand je dis qu’il est difficile d’exprimer avec des mots l’amour et l’énergie que le public brésilien dégage lorsque on est sur scène », confie-t-il dans un entretien exclusif à Billboard Brasil. 

Le deuxième single de cet album, São Paulo, en featuring avec Anitta, qui incorpore notamment des influences baile funk à travers ses voix pitchées, est né lors de son passage dans la métropole brésilienne. « São Paulo et Rio m’ont rappelé que les fréquences que nous émettons en tant que musiciens sont importantes. Elles me rappellent pourquoi j’ai voulu faire de la musique : pour créer des connexions », ajoute-t-il.

Anitta, le Brésil impose sa superstar de la pop

Mais Anitta n’a pas eu besoin de The Weeknd pour propager la musique brésilienne dans le monde entier. L’artiste, qui a débuté comme MC de baile funk dans les favelas de Rio avant de conquérir le monde, incarne cette nouvelle vague d’influence brésilienne, un phénomène “badalada” qui rompt avec les codes traditionnels du hit occidental. C’est à partir de son cinquième album, Versions of Me, sorti en 2022 que l’artiste conquiert le monde. Snoop Dogg, Madonna ou encore J. Balvin l’appellent en featuring, et elle se retrouve également en cover de versions internationales de Vogue comme du Wall Street Journal.

L’artiste a également participé à la respectabilité nouvelle du funk, un genre que les autorités brésiliennes ont longtemps tenté d’interdire. Elle prend elle-même la défense du genre et déplore sa stigmatisation : « Les gens ne faisaient que chanter leur quotidien. Alors, pour changer ce que nous chantions… il faut d’abord transformer notre réalité, » affirmait-t-elle en 2022 à NPR. Ce genre longtemps méconnu est d’ailleurs devenu le fer de lance de l’exportation de la musique brésilienne..

Baile funk : des favelas aux plus grands studios d’enregistrement

Né il y a 40 ans dans les favelas de Rio de Janeiro, le baile funk connaît une seconde jeunesse à l’échelle mondiale. Caractérisé par des « kicks durs et tonitruants, des cymbales crépitantes hors tempo, des voix puissantes – parfois incompréhensibles » selon Billboard Brasil, ce style électronique a franchi les frontières du Brésil pour influencer des artistes américains tels que Cardi B ou Travis Scott.

« Que ce soit en club ou au sein d’un autre genre, le baile funk fait désormais partie de l’ADN de la musique moderne. Si ça ne sent pas le funk, c’est qu’il y a quelque chose qui cloche dans votre recette », affirmait Priscila Cavalcante, qui enregistre sous le nom de House of Priso, au Guardian.

Une nouvelle déclinaison appelée « bruxaria » (sorcellerie en portugais), un sous-genre sombre aux percussions quadrillées qui a émergé à São Paulo, gagne également en popularité à l’international. Ce courant a donné naissance au « phonk », une musique basée sur Internet qui exagère les traits principaux du baile funk et qui explose sur TikTok et Spotify, avec près de 7 millions d’abonnés sur la playlist principale de la plateforme.

La jeunesse “badalada” : moteur d’une révolution culturelle

Au cœur de cette révolution musicale se trouve la jeunesse “badalada” du Brésil, une génération connectée qui s’approprie les codes de la musique locale pour les propulser à l’international. Le terme « badalada », qui évoque à la fois l’influence internationale, la coolitude et un mode de vie détaché des pressions sociétales, caractérise ce mouvement porté par les réseaux sociaux, notamment de vidéo courte.

« Les producteurs brésiliens mélangent le baile funk avec d’autres genres comme le reggaeton et la house. C’est ce type de fusion qui apporte de l’énergie à un genre et lui permet de devenir mondial », observe Cavalcante. Machado ajoute : « Il y a des DJ et des producteurs au Brésil qui croisent le baile funk avec la house, l’afrobeats, l’amapiano – ils ont les yeux grands ouverts sur ce qui monte à l’international ».

Quelles perspectives d’avenir ?

Face à cet engouement local et international, comment s’assurer que les artistes brésiliens tirent leur épingle du jeu ? Pour Machado, il y a une chose qui donne aux artistes de baile funk brésiliens un avantage, quelque chose qui fera toujours avancer le genre : les fêtes de rue de baile funk dans les favelas d’où est issu le genre.

« Tout dans le baile funk vient des bailes. C’est là que vous trouverez les prochaines tendances », dit Machado. « Si vous voulez faire de la musique baile funk, vos expériences de vie doivent être liées à la favela. Le funk, c’est la favela. »