DJ Snake : « Le but, c’est de marquer l’histoire »

Ce 10 mai, DJ Snake s’apprête à jouer consécutivement dans deux des plus grandes salles de concert du pays, le Stade de France (80 000 personnes) puis l’Accor Arena (20 000 personnes). Une performance inédite pour un habitué des records, qui prépare la sortie de son troisième album studio.
DJ Snake pour Billboard France

Nabil Elderkin pour Billboard France

DJ Snake se tient détendu mais alerte, le regard vif face à l’objectif de Nabil Elderkin, réalisateur et photographe connu, entre autres, pour ses collaborations avec Travis Scott et The Weeknd. L’artiste s’apprête à donner un concert évènement au Stade de France, baptisé The Final Show, suivi d’un after party à l’Accor Arena. Phénomène inédit pour un DJ en France et témoin de sa popularité dans son pays natal, l’événement a vu ses billets s’écouler en trois minutes à peine.

Plus d’une décennie après le début de sa montée en puissance, il est l’un des ambassadeurs les plus influents de la scène électronique française et figure parmi les 100 artistes les plus populaires au monde sur Spotify. 4 de ses singles ont atteint les 10 premières positions du Billboard Hot 100, classement des titres les plus populaires du moment aux États-Unis.

Paris c’est ma ville. C’est la ville qui m’a tout appris, en fait.

« Paris, c’est ma ville« , affirme-t-il dès le début de l’interview. Il entretient avec la capitale une relation viscérale, qui dépasse le simple attachement géographique. « C’est la ville qui m’a tout appris, en fait. La forte influence du hip-hop à Paris, la musique africaine, la musique arabe, la variété… Tout ce mélange-là fait qu’aujourd’hui, ma musique sonne comme ça.« 

Il se retrouve dos au mur à l’été 2012, après plusieurs années à mixer dans les clubs huppés de la capitale. Ayant déjà travaillé dans l’ombre pour des artistes comme Lady Gaga (qui lui vaut de figurer sur un album nominé aux Grammy Awards), il se sent frustré de ne pas pouvoir plus s’exprimer en tant qu’artiste. Il investit alors ses économies dans la location d’un studio d’enregistrement et se donne deux mois pour réussir en tant qu’artiste solo. Ce pari risqué s’avérera le point de départ d’une ascension fulgurante, démarrée en 2013 avec Turn Down for What en collaboration avec Lil Jon.

Nabil Elderkin pour Billboard France

Figure de proue de la scène électronique française

En toute humilité, je n’ai pas la prétention de dire que je représente la France”, confie DJ Snake. “Je représente un mec qui vient de Paris, qui est franco-algérien, et je fais de mon mieux pour faire des choses intéressantes.”

Avec 13 milliards de streams Spotify et 4 clips à avoir passé le cap du milliard de vues sur YouTube, DJ Snake porte pourtant les couleurs du pays à l’international. « On a une scène électronique qui est incroyable et respectée dans le monde entier. Nos grands frères ont fait un travail extraordinaire, que ce soit Daft Punk, Justice, Bob Sinclar, Martin Solveig, David Guetta, Madeon…”

C’est ma destinée, de partir de tout en bas, un mec en qui personne ne croit au début… Et d’aller jusqu’en haut, au Stade de France.

Plus qu’un simple concert, ce Final Show symbolise pour lui une ambition claire : « Le but c’est de vraiment marquer l’histoire. » À l’ouverture de la billetterie, la file d’attente compte plus de 500 000 personnes en simultané. « On avait prévu un run de promo avec des interviews, des passages télé, des affichages dans la rue, dans Paris… On avait toute une campagne prête, parce que jamais, jamais, jamais, je me suis dit que j’allais remplir le stade de France en trois minutes. »

L’artiste décide alors de prolonger la soirée… « J’ai dit à ma manageuse Julie : ‘Demande si l’Accor Arena est disponible’. Si c’était disponible, on faisait l’after là-bas. Au moins, on aurait eu 20 000 personnes, 20 000 chanceux, 20 000 membres de la Snake Army, avec qui on pouvait faire un gros événement.” Pari gagnant puisque l’enceinte située à Bercy affiche elle aussi complet.

Nabil Elderkin pour Billboard France

Accompagner la nouvelle génération

On peut partir d’une petite banlieue et faire de grandes choses, avec peu de moyens, juste avec la volonté, des idées, une bande de potes, s’amuser et beaucoup d’ambitions”, affirme DJ Snake. « Ce que je veux dire, c’est ‘ vas-y, on peut tout faire’. Tu as un passeport, tu peux voyager, amuse-toi, fais ce que tu as à faire, et bats-toi pour ta vision. »

Je pense qu’après mon album, le but, c’est d’ouvrir un nouveau label et de signer pas mal de jeunes. Je veux leur donner une plateforme pour s’exprimer.

L’artiste se dit confiant dans l’avenir de la nouvelle génération : « Il y a plein de gens talentueux et je ne suis vraiment pas inquiet pour l’industrie et pour la scène française. Je pense à un mec comme Trym, qui arrive avec sa vibe hard techno. Son projet va encore grandir, les Américains en raffolent, et je trouve que ce qu’il représente est vraiment cool.”

Prochaine étape après son triomphe au Stade de France, l’ouverture d’un label dédié au soutien de nouveaux talents. « Je pense qu’après mon album, le but, c’est d’ouvrir un nouveau label et de signer pas mal de jeunes. Je veux leur donner une plateforme pour s’exprimer. »

L’esprit nomade

Si Paris reste son port d’attache émotionnel, DJ Snake se définit avant tout comme un citoyen du monde. « Je me sens bizarrement chez moi partout, » explique-t-il. « Et j’ai vraiment ce truc-là de nomade. L’esprit nomade, c’est quelque chose qui me ressemble à fond. C’est un rythme que j’ai depuis tout jeune. J’ai toujours bougé, j’ai toujours voyagé. »

« Désormais, j’arrive à m’imprégner d’une ville rapidement. C’est fou ce que j’ai réussi à développer, je m’en rends compte aujourd’hui. » Un équilibre toutefois contraignant : « C’est très inspirant de voyager, de rencontrer des gens, de croiser plein d’artistes, de découvrir beaucoup de culture, etc. Après, c’est vrai que le voyage en lui-même est très fatigant. C’est beaucoup de pression. »

« J’ai beaucoup de mal à créer en tournée. J’ai besoin de m’arrêter et de me poser quelque part. Je me suis un peu absenté des réseaux sociaux quand j’étais plus en tournée, parce que j’étais en train de finir mon album et que j’avais besoin de ne pas être trop en mouvement tous les jours. »

L’Algérie me rend beaucoup d’amour. C’est très dur pour moi de marcher dans la rue, par exemple. C’est quelque chose que je n’ai pas ailleurs, même si je suis connu un peu partout.

Avec Disco Maghreb en 2022, DJ Snake atteint une forme de consécration personnelle. Le morceau instrumental aux sonorités algériennes se veut d’une démarche profondément intime. « L’impact de Disco Maghreb a été énorme. C’est du jamais vu, et je ne m’y attendais vraiment pas. Je suis le premier surpris, » confie-t-il. « Disco Maghreb sera encore joué dans 20 ans dans les mariages. »

Pour lui, la véritable victoire réside dans sa capacité à faire rayonner une musique traditionnelle spécifique au-delà de son public d’origine : « Quand je suis en train de jouer au Brésil, au Mexique, en Colombie, à Taïwan, au Japon, et que je vois les gens danser sur des rythmes algériens, c’est une victoire culturelle.”

Nabil Elderkin pour Billboard France

Un nouvel album après six ans d’attente

DJ Snake s’apprête à marquer son retour avec un nouveau projet dont l’annonce coïncide avec son show au Stade de France. « C’est vrai que c’est passé vite, » reconnaît-il en évoquant l’intervalle depuis Carte Blanche. « J’ai ressenti le besoin de proposer un nouveau chapitre à ma carrière. J’avais des choses à raconter, des choses à proposer. Avec le Stade de France, je me suis dit, Je pense qu’on va faire une belle doublette, Stade de France, album. On va se faire plaisir.’

« C’est un album où je me suis amusé. J’ai poussé la créativité au maximum. Évidemment, ça restera du DJ Snake, je ne vais pas revenir avec un album funk, ou un album drum’n’bass. Il y aura de l’électronique, il y aura des trucs touchants, et on va s’amuser. »

Une polyvalence qui est l’une des signatures de l’artiste : « Je sors Let Me Love You avec Justin Bieber, le mois d’après, je sors un morceau de dubstep qui s’appelle Propaganda, qui est super agressif. Après, je fais des trucs comme Magenta Riddim avec des sonorités indiennes. Après, je peux faire un truc house, je peux faire Disco Maghreb… »

« J’ai baladé les gens de gauche à droite, vraiment. Mais toujours en gardant une intégrité et ma vision. Et c’est pour ça que les gens ne m’ont jamais considéré comme un opportuniste, parce que la démarche a toujours été sincère. » Il revendique cette diversité comme une partie intégrante de son identité : « Quand tu es dans la musique, il faut que ton art soit solide et que tu touches les gens. »

« Je ne comprends pas les artistes qui font la même chanson à chaque fois. Ils ont un hit avec un truc et ils font 5 follow-ups avec la même rythmique, la même guitare. Je deviendrai dingue. C’est pour ça que j’ai toujours besoin de me réinventer et de proposer quelque chose de différent. »

Nabil Elderkin pour Billboard France

DJ Snake en quête d’authenticité

Dans un paysage électronique où les tendances, notamment sur les réseaux sociaux, prennent le dessus sur les choix créatifs, l’indépendance artistique est pour DJ Snake un principe fondamental. « Ma vision, c’est ce qui compte le plus pour moi. J’ai tout fait pour la protéger et d’avoir cette indépendance, cette liberté de naviguer.« 

Pour le producteur derrière Let Me Love You et Lean On, « l’impact de TikTok » a changé la musique électronique, avec des consommations toujours plus rapides. « L’industrie a changé. La consommation, pas simplement de la musique mais de l’entertainment en général, fait que très peu de choses restent”, constate-t-il.

« Depuis tout jeune, j’ai toujours bougé, j’ai toujours voyagé… On a rencontré les plus grands artistes du monde, les plus grandes célébrités, on a fait les plus beaux endroits de la planète. Mais à un moment donné, en fait tu fais le tour de tout ça et tu retrouves à apprécier les choses très simples. »

Cette quête se manifeste tant dans sa musique que dans son approche créative : « Ma musique c’est le miroir de mon quotidien, de ma vie, c’est moi en fait. Je retranscris ce que je ressens. C’est sûr qu’il y aura des trucs beaucoup plus simples que ce que j’ai pu faire avant. »

Son projet parallèle, The Outlaw, sous lequel il apparaîtra à l’Accor Arena, lui permet également de revenir à ces racines : « C’était juste l’histoire d’avoir vraiment carte blanche, et de pas me soucier de mon image, de mon statut, de devoir jouer tous mes hits pop tout le temps. C’est vraiment une sorte de défouloir. » Un side-project sur lequel il confie ambitionner un EP dans les prochains mois…

Propos recueillis par Ulysse Hennessy, Nicolas Baudoin et Julien Zeidan pour Billboard France

Production : Rooom Studio
Photographe : Nabil Elderkin
Producteur exécutif : Selim Rochette Moreau
Styliste : Axelle Teixeira
Chef de projet : Youssef El Moumni
Graphiste : Maxence Micaelli
Make-up artist : Giulia Caillaud
Remerciements : Julie Hassid, Nicolas Hoyet (I’m PR), Plaza Athénée