Les rythmes régionaux, moteurs de la pop mondiale à l’été 2025 ?

Anitta dans le clip de « BELLAKEO »
Portés par une génération « badalada » – cette jeunesse branchée et connectée – les courants musicaux régionaux sont en train de reconfigurer le paysage global, annonçant une révolution rythmique. Un phénomène nouveau d’explosion des courants régionaux permet à des genres jusque-là peu mis en avant de toucher des audiences inédites. Ces trois courants majeurs venus d’Amérique du Sud et des Antilles semblent bien partis pour prendre toute la lumière à l’été 2025.
La vague brésilienne conquiert le monde
Né il y a 40 ans dans les favelas de Rio de Janeiro, le baile funk connaît une renaissance spectaculaire à l’échelle mondiale. Cette musique électronique a franchi les frontières du Brésil pour influencer des artistes internationaux comme Travis Scott, Cardi B ou The Weeknd, qui a choisi São Paulo comme laboratoire créatif pour son nouvel album.
Le phénomène prend une ampleur nouvelle avec des artistes comme MC Menor JP, jeune prodige brésilien de 16 ans qui a vu leurs morceaux devenir viraux sur TikTok. Son tube Menina de Vermelho cumule plus de 10 millions de vues sur la plateforme et a propulsé sa carrière à l’international, jusqu’à le mener parmi les premières places du Top Singles. « Malgré son jeune âge, il affiche déjà une détermination impressionnante et un sacré talent », témoignait Mrik de Skyrock lors de sa rencontre avec le prodige brésilien.
Au cœur de cette révolution se trouve également une nouvelle déclinaison appelée « bruxaria » (sorcellerie en portugais), un sous-genre sombre aux percussions quadrillées qui a émergé à São Paulo. Ce courant a donné naissance au « phonk », une musique basée sur Internet qui exagère les traits principaux du baile funk et qui explose sur les plateformes de streaming. Le genre a dépassé les 7 millions d’abonnés sur sa principale playlist Spotify. Des artistes inconnus du grand public, comme ATLXS ou ALXIKE, portés par l’explosion des réseaux sociaux, s’emparent également de YouTube.
La génération « badalada » : catalyseur du changement musical mondial
L’émergence de ces nouvelles tendances musicales est propulsée par une génération que les Brésiliens surnomment « badalada » – un terme portugais qui capture l’essence d’une jeunesse avant-gardiste, cosmopolite et décomplexée. Ces digital natives transcendent les barrières géographiques et culturelles, s’appropriant des sonorités issues de contextes sociaux parfois très éloignés des leurs. Ils transforment ces rythmes via les plateformes numériques, loin des circuits traditionnels de l’industrie musicale.
Cette transformation se propage directement des créateurs vers les auditeurs. « Les producteurs brésiliens mélangent le baile funk avec d’autres genres comme le reggaeton et la house. C’est ce type de fusion qui apporte de l’énergie à un genre et lui permet de devenir mondial », observe Taísa Machado, danseuse, chercheuse et conservatrice de la première exposition majeure à Rio consacrée au baile funk. Pareillement, en Martinique, le shatta est porté au départ par la cette jeunesse “badalada”. “ [Le shatta] était essentiellement porté par les jeunes générations issues des quartiers mais les artistes et compositeurs ont réussi à en faire un genre plus ouvert. » commente Ludmilla Romagne, responsable des Opérations & Pôle Chefs de Projets d’ADA France, Atlantic Records et Rec. 118 (Warner Music France), et fondatrice de l’agence MøB.
Cette évolution culturelle dépasse largement les frontières nationales. Des artistes comme 1T1 portent la bannière du shatta et du bouyon à l’international. Grâce à une tendance virale, ce dernier a vu sa collaboration avec Théomaa sur Bouwéy séduire notamment les auditeurs nigérians.
Shatta et bouyon : les Antilles à l’assaut des charts français ?
Parallèlement à l’explosion du baile funk, une autre tendance régionale prend d’assaut les classements français : les rythmes antillais shatta et bouyon. Symbole de ce succès, depuis novembre 2024, deux titres ont pris d’assaut le Top Singles français : Alpha de Damso et Kalash, déjà certifié diamant, et KONGOLESE SOUS BBL de Theodora, certifié platine. Point commun de ces deux succès : ils sont tous les deux issus de genres d’inspirations antillaise, le shatta et le bouyon.
Le shatta, dérivé de la dancehall jamaïcaine, a pris racine dans le quartier populaire de Volga-Plage, à Fort-de-France (Martinique), tandis que le bouyon est né dans les années 1980 sur l’île de la Dominique. « Ce qui caractérise le shatta, c’est des basses très puissantes, très peu de mélodies et des percussions qui font penser à des sonorités de carnaval, très cloche ou caisse claire », explique Shaz, compositeur à l’origine, notamment, du titre « Alpha ».
Dans leur sillage de ces deux locomotives, d’autres titres d’inspiration antillaise comme Chambre 04 de DJ Kawest et Attachingboy et Shamballa d’Anyme023 et Shaydee’s ont rejoint le Top 50 France. Amorcé par le titre Laptop de Kalash et Maureen, le phénomène popularisé par les réseaux sociaux attire désormais l’attention des plus grands artistes français. Sur son nouvel album PANDEMONIUM, Vald s’essaye au bouyon sur le titre PROZACZOPIXAN, tandis que Shay et Niska partagent des extraits d’inspiration bouyon sur les réseaux sociaux.
L’été 2025, l’explosion des collaborations transculturelles
L’été 2025 semble donc être celui de la multiplication des collaborations entre artistes mainstream et représentants de ces scènes émergentes. Le featuring annoncé entre Zeg.P, Anitta et Joé Dwèt Filé, ainsi que la rumeur d’une collaboration entre MC Menor JP et Jul, illustrent cette tendance aux hybridations culturelles, notamment entre la France et le Brésil, qui devrait être le marqueur fort du prochain été.
Face à cet engouement international, l’industrie musicale locale exprime sa joie . « Une partie de l’industrie musicale antillaise est fière de s’exporter, mais il y a aussi une forme d’inquiétude autour de l’appropriation culturelle », explique Young Chang MC, artiste et fondateur du label AB BOYZ MUSIC. « Il serait temps qu’il y ait un respect et une place à part entière accordés à nos acteurs. »
Le “badalada summer” s’annonce donc comme un moment charnière pour la musique mondiale, où les influences régionales du Brésil et des Antilles pourraient redéfinir les contours de la pop contemporaine, portées par une génération plus connectée et plus ouverte aux hybridations culturelles que jamais.