Yoa : « J’ai l’impression qu’il y a un mouvement de ‘pop girlies’ françaises… »

Sacrée révélation scène aux Victoires de la Musiques 2025, la chanteuse de 26 ans prend sa place sur la scène musicale française avec son premier album, « La Favorite ».

Frankie & Nikki pour Billboard France

Depuis 2022 et la sortie de son premier EP Chansons tristes, Yoa s’impose comme l’une des voix les plus franches d’une nouvelle génération pop francophone. Pour Billboard France, elle évoque son processus créatif, son rapport au féminisme et l’émergence d’une scène pop féminine. Entre refus de la censure et ambition assumée, la chanteuse de 26 ans nous dévoile les coulisses de son premier album La Favorite et sa vision d’une musique à la fois personnelle et politique.

Au niveau de l’écriture, es-tu quelqu’un qui écrit instinctivement ou as-tu besoin de maturer les idées longtemps pour faire des morceaux ?

Un peu des deux. Quand j’ai une idée de chanson, souvent elle est en gestation pendant plusieurs mois, et quand je m’assois pour l’écrire, j’écris tout d’un coup.

Je me disais ça par rapport à deux morceaux qui font écho l’un à l’autre : Mes Copines et Contre-cœur. On a l’impression d’avoir les deux faces d’une même pièce. Est-ce qu’ils ont été écrits en même temps ?

Pas du tout. Contre-cœur est un morceau que j’avais envie d’écrire depuis très longtemps, sur les ruptures d’amitié. C’est un sujet qui a été en gestation pendant des années. Quand j’ai senti que c’était le moment, je suis partie seule pendant trois jours et je l’ai écrit d’une traite. Pour Mes Copines, j’avais envie d’écrire une chanson célébrant l’amitié et les filles qui m’entourent. Le geste a été hyper naturel, limpide.

Le thème de l’amitié entre femmes est assez peu abordé en chanson, et encore plus les ruptures d’amitié. As-tu l’impression d’être pionnière sur ce thème ?

Il existe quand même de belles références de chansons sur l’amitié, ou des morceaux qui ont été appropriés par les filles. Je pense à Chanson sur ma drôle de vie de Véronique Sanson qui, grâce à Tout ce qui brille, est devenue une chanson sur l’amitié.

Super film.

C’était vraiment mon film quand j’étais petite. Avec ma sœur, on le regardait en boucle. Il y a aussi beaucoup de chansons sur l’amitié en pop américaine, en rap ou en pop pure et dure, surtout dans les années 2010.

Par exemple ?

Soit de la pop mainstream comme California Gurls de Katy Perry, soit des morceaux comme Best Friend de Doja Cat et Saweetie. Le morceau de Barbie de Charli XCX… Il y a des beaux hymnes pour les filles qui ne se revendiquent pas explicitement comme des chansons sur l’amitié, mais qui le sont devenues.

Frankie & Nikki pour Billboard France

Ça permet d’aller à contre-courant des textes centrés sur les relations amoureuses et de montrer une facette différente de toi.

Complètement. Je me souviens d’un échange intéressant en commentaire d’une de mes chansons YouTube. Quelqu’un qui appréciait ma musique déplorait que le féminisme que j’abordais soit encore très libéral. Elle me faisait remarquer que des rappeuses américaines comme Cardi B inversent le rapport de force, avec un plaisir où c’est « toi qui va me lécher ».

WAP ?

Oui, ou même la pochette de Invasion of Privacy où on voit littéralement un homme lui faire un cunnilingus pendant qu’elle boit un whisky. J’ai trouvé cette discussion très enrichissante et je l’ai remerciée. Ça m’a vraiment fait réfléchir sur ma façon d’aborder le féminisme dans mes morceaux.

Considères-tu que ta musique est politisée, ou est-ce plutôt un récit de ce que tu vis qu’une conscientisation philosophique ?

Ma musique est forcément politisée parce que je suis une femme qui parle de sexe, donc ça devient politique. Il y a aussi mon identité en tant que personne racisée dans un paysage où, même si beaucoup de chanteuses afro-descendantes, mais dans la pop française, il n’y a pas encore beaucoup de figures non blanches. Donc forcément, je suis heureuse que ma musique soit politisée, et j’ai envie de rendre cela encore plus explicite.

Il y a aussi mon identité en tant que personne racisée. [•••] Dans la pop française, il n’y a pas encore beaucoup de figures non blanches.

Les gens qui te suivent pour ta musique sont-ils surpris par ton engagement sur les réseaux sociaux ?

J’ai beaucoup de chance parce que ma communauté a vraiment grandi avec moi. Quand je poste des choses sur la Palestine ou sur l’antifascisme, je ne reçois jamais de commentaires me demandant « pourquoi tu mets ça ». Mon public prend le package complet (rires), et ça me fait plaisir, car je connais d’autres chanteuses qui touchent un public plus large et qui n’ont pas cette liberté.

Mais ça pourrait t’arriver un jour.

De toucher un public plus large ? Oui, mais je suis tellement contente de ce que j’ai actuellement que si ça arrive, tant mieux pour les sous que ça génèrera. Mais je suis très heureuse avec les gens qui ont déjà accroché au projet.

Essayes-tu de faire des hits, ou fais-tu simplement ce qui te plaît ? Comment trouves-tu l’équilibre entre musique calculée et instinct pur ?

C’est une question intéressante parce que ce que j’aime écouter, ce sont des musiques commerciales, des hits. Mais aussi des trucs très indés, très niche. Les disques NRJ étaient les seuls que j’achetais enfant pour les écouter en voiture pendant les vacances.

Ma position est intéressante : des professionnels m’ont dit que je devais choisir entre être une shygirl (ndlr: artiste britannique électronique indie) ou faire de la pop mainstream. Mais je ne veux pas choisir. Aujourd’hui, je fais un peu les deux. J’ai gagné une Victoire de la Musique, une récompense très mainstream, mais mon public ne l’est pas tant que ça.

Pour revenir à ta question, faire des hits m’intéresse surtout financièrement. Je ne vais pas mentir, ce serait cool de faire un jour un truc qui cartonne et pouvoir m’acheter une maison avec.

J’ai gagné une Victoire de la Musique, une récompense très mainstream, mais mon public ne l’est pas tant que ça.

Tu ne vas pas éteindre les critiques sur le libéralisme avec ça.

Je ne peux pas les éviter de toute façon.

Mais tu vis de ta musique actuellement ?

Oui, et ça va très bien. Mais il y a toujours cette question de sécurité. C’est complexe, car j’essaie de m’inscrire dans une démarche anti-capitaliste – je critiquerai toujours le capitalisme. Mais il y a aussi des blessures personnelles.

Quand on a connu des difficultés financières, on a envie de vivre l’autre versant.

Exactement. Je n’ai jamais connu la pauvreté, mais j’ai connu les problèmes d’argent, les huissiers… c’est assez déstabilisant.

Ça s’en rapproche quand même…

Oui, mais ce serait problématique de prétendre autre chose. J’ai grandi dans le quartier où nous sommes (ndlr : le 6ème arrondissement de Paris).

C’est surprenant. Il paraît que tu as grandi dans cette rue ?

J’y ai passé 20 ans, avec des problèmes d’argent considérables.

Frankie & Nikki pour Billboard France

Pourquoi ? Tes parents étaient dans le milieu artistique ?

Oui, j’ai grandi dans un environnement artistique. Mes deux parents sont trans-classes. Mon père vient d’un village où il se lavait une fois par semaine, ils étaient une fratrie de sept. C’était très compliqué, et il a vraiment été transfuge de classe, mais sans avoir les codes pour vivre à Paris.

L’argent lui filait entre les doigts ?

Il n’a jamais appris ce qu’était un capital, comment le gérer. Ce sont des discussions que j’ai déjà eues avec lui.

C’est toi qui lui apprends, finalement ?

Non, il s’en est toujours sorti, et je l’admire pour ça. Nous avons habité ces quartiers pendant des années, avec toute l’anxiété que ça génère quand tu n’as pas vraiment les moyens d’y vivre. Mais c’est lui qui m’apprend, par sa force et sa vitalité. Nous nous en sommes toujours sortis malgré les difficultés, et ces expériences créent des traumatismes qui font que j’aimerais pouvoir acheter un jour. Pas forcément à Paris – je ne voudrais pas y habiter plus tard.

Nous avons habité ces quartiers pendant des années, avec toute l’anxiété que ça génère quand tu n’as pas vraiment les moyens d’y vivre.

À la campagne ?

Franchement, oui. Mais pas à Paris, c’est certain.

En parlant de revanche, j’ai l’impression d’en percevoir une sur le milieu du théâtre à travers l’album. J’avais lu que tu t’étais tournée vers la musique parce que le théâtre était un milieu trop fermé pour quelqu’un de racisé. Et l’imagerie autour de l’album est très théâtrale.

Complètement. C’est joliment observé, car c’est une revanche qui s’est faite naturellement. Ayant fait du théâtre toute ma vie, il y a quelque chose de très théâtral dans ma façon de présenter ma musique. Il y a peut-être un aspect revanchard dans mon imagerie, ma manière de me mettre en scène. C’est vrai.

Sur scène, tu es accompagnée de deux danseuses. As-tu pris des cours de danse pour ce spectacle ?

J’ai une formation de danseuse classique et contemporaine, donc j’ai toujours pris des cours. Mais pour le spectacle, nous avons fait appel à un chorégraphe extraordinaire, Malik Le Nost.

C’est aussi lui pour Princesse chaos ?

Oui, c’est lui.

J’avais vu ce clip avec les tenues de ballet, très réussi. J’ai aussi lu que tu faisais de la musique avec ton ex-compagnon, comme The Pirouettes qui continuent après leur séparation. Comment gères-tu cette situation ?

Il y a effectivement eu une séparation pendant la création de l’album. C’est très compliqué. Le plus difficile quand on travaille en couple, c’est de gérer l’ego des deux côtés.

Pourtant les rôles semblent clairs : lui à la production, toi au chant.

Il y a toujours une porosité, quelque chose qui dépasse les limites.

Qui prend la décision finale sur un élément ?

Ce n’était pas le problème, nous avons toujours eu un rapport sain et ne nous sommes pas séparés à cause d’abus liés à la musique. Mais quand les liens sont aussi forts, même avec des limites claires, il y a toujours un débordement. L’amour pousse à dépasser les limites. Je trouve très compliqué de travailler en couple, c’est quelque chose que je ne veux plus faire pour l’instant.

Tu vas continuer à travailler avec lui sur le prochain album ou c’est impossible ?

Pour l’instant non. Je pense qu’on pourra collaborer à nouveau dans un avenir lointain, je nous le souhaite, mais actuellement, certaines blessures sont trop fraîches.

Cela ne te donne pas envie de rejeter une partie de l’album ? Tu places les émotions au-dessus de la qualité objective des œuvres ?

Il y a eu des moments où certains morceaux étaient plus difficiles à chanter, mais globalement non. Je suis tellement fière de ce que nous avons créé. Je pense toujours à long terme, je projette ce que je fais sur cinq ou dix ans plutôt que sur quelques mois.

Tu es donc assez rationnelle dans ton processus ?

Complètement. Dans trois ou cinq ans, cet album sera une photo de nous et de moi à ce moment de ma vie, de ma vingtaine, et je serai heureuse de l’avoir. Je n’aurais jamais voulu jeter quoi que ce soit. Il y a un morceau avec lequel je me suis réconciliée au mixage, mais que je ne voulais pas mettre dans l’album initialement.

Lequel ?

Les grandes chansons, parce qu’il parle d’un autre homme.

C’est intéressant, car on ne sait jamais vraiment de qui tu parles dans tes chansons. Dans Là-bas Part. 2, je me demandais si tu demandais pardon à cette personne ou à quelqu’un d’avant.

Dans tous mes morceaux à la première personne, j’essaie de laisser planer le doute. C’est désagréable de se reconnaître dans une chanson, c’est horrible. Je laisse des indices pour les concernés, mais je ne veux pas que le reste du monde sache exactement de qui il s’agit. Pour Là-Bas Partie 2, c’était une chanson que j’avais écrite pour la personne, et c’était vraiment une demande de pardon.

J’ai remarqué qu’Iliona est créditée comme productrice sur la dernière piste. Comment vous êtes-vous retrouvées à collaborer ?

Je ne sais pas si j’ai le droit de le dire… C’est une très bonne amie. Nous avons été très proches pendant la création de nos deux albums.

Frankie & Nikki pour Billboard France

Son album est très différent de ce qu’elle faisait avant.

Tu trouves ? Je pense qu’il y a une continuité.

Je trouve que ça n’a quasiment rien à voir. Avant, c’était très chanson française, les médias la comparaient à France Gall ou Françoise Hardy. Maintenant, c’est plus two step, drum and bass, des sonorités UK, presque hyper pop avec beaucoup d’autotune.

J’ai toujours trouvé que dans chacun de ses EP, il y avait des indices de cette évolution. Sur Reste, l’autotune est déjà très présent. J’ai l’impression que dans ses précédents projets, il y avait toujours un morceau plus « chanson » qui portait médiatiquement les autres. Sa musique est l’une des plus belles en France, et mon avis n’est même pas biaisé, j’étais fan avant qu’on se connaisse.

Comment vous êtes-vous rencontrées ?

C’est elle qui m’a écrite en premier parce qu’elle aimait ce que je faisais. Elle a proposé qu’on prenne un café, avec une autre chanteuse qui s’appelle Eugénie. Nous nous sommes rencontrées comme ça, à trois.

Il se forme un groupe de chanteuses ?

Oui.

J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de femmes de votre génération inspirées par la pop et la pop française. Je pense à vous deux, peut-être aussi à Miki, Adèle Castillon… Y a-t-il une véritable scène ?

Absolument. Il y a vraiment un mouvement cette année, et ça me fait plaisir que tu en parles sans comparaison, contrairement à d’autres médias. J’ai l’impression qu’il y a un mouvement de « pop girlies » françaises qui cherchent à faire de la pop inventive et différente, moins chanson, plus indé. Je me sens vraiment faire partie de cette famille, y compris avec des artistes plus connues comme Helena. Son morceau Mauvais garçon ne fait pas pop française classique dans le mixage, on dirait du Billie Eilish, avec cette proximité vocale et cette compression. Les pop girlies de France forment vraiment une équipe qui se soutient, ce qui n’existait pas il y a cinq ans.

Je me sens vraiment faire partie de cette famille, y compris avec des artistes plus connues comme Helena.

La pop française arrive-t-elle à se détacher de la variété française, qui a longtemps été une référence obligatoire ?

Exactement. Si tu poses la question à une autre artiste de ma génération, elle te dira qu’il y a des influences, bien sûr. Mais personnellement, j’ai moins été élevée dans cette culture. Mes parents n’écoutaient pas beaucoup de variété française.

Tu t’es mise à la musique assez récemment ?

Oui, après le COVID.

Comment ça s’est passé ? As-tu eu un mentor ?

C’était Tomasi, mon ex avec qui je vivais à l’époque. Il savait que j’adorais chanter et m’a vraiment encouragée.

C’est lui qui a composé tout Chansons tristes ?

Non, c’est moi qui compose, et lui qui produit avec moi et Alexis Delong, un autre producteur avec qui j’ai toujours travaillé. Nous avons fait l’EP à trois, mais c’est moi qui compose et écris.

Tu étais déjà signée chez Panenka avant la sortie de l’EP ?

Nous avions déjà l’EP presque terminé. Chanson triste et Maddy existaient déjà.

Encore plus triste ?

Non, pas encore. Ils m’ont signée pour le morceau Chanson triste.

Un hit, en quelque sorte.

J’en suis fière.

En concert, elle prend une autre dimension. On ressent davantage la basse.

Absolument. Comme je n’ai pas d’instrumentistes sur scène, nous avons énormément travaillé toutes les pistes avec Charlie Trimbur, mon directeur musical. Il a tout retravaillé, avec mon ingénieure son Taissa A, qui est formidable. Nous avons cherché à créer des sensations les plus organiques possible pour le public.

La scène n’est-elle pas ton moteur aujourd’hui ? C’est là que tu fais découvrir ta musique, et où les gens te reconnaissent le plus, surtout avec ta Victoire ?

Les Victoires, c’était vraiment à part. Je ne comptais pas du tout là-dessus pour me faire connaître.

Est-ce qu’une Victoire change quelque chose, finalement ?

Dans ma vie quotidienne, rien n’a changé. Les gens ne m’arrêtent pas plus dans la rue, je n’ai pas vu d’augmentation significative d’abonnés. De toute façon, ma musique n’est pas la plus mainstream.

Il faut rester dans une certaine case pour toucher ce public.

Et c’est aussi un choix personnel. Je suis contente que ma musique ne plaise pas aux gens de droite. Il faut être cohérente avec ce qu’on fait musicalement, et ça me dérangerait que ma musique plaise à des gens de droite.

Pourtant, ça arrive à des artistes comme Angèle, qui a un public très large.

Zaho de Sagazan aussi, mais elle s’est vraiment engagée contre l’extrême droite, changeant même ses paroles en concert l’année dernière. Quand tu touches un public large, forcément certains auditeurs votent à droite.

Les frontières musicales semblent s’effacer aujourd’hui. Les gens écoutent de tout sur les plateformes, parfois de façon plus passive.

C’est possible, je ne m’en rends pas vraiment compte.

Beaucoup écoutent du rap tout en étant contre ce que représentent les rappeurs et leurs origines. La pop doit connaître le même phénomène.

C’est tout à fait possible. Peut-être que dans mes textes, il y a une absence de censure, une écriture très directe qui peut parler à tout le monde.

Dans mes textes, il y a une absence de censure, une écriture très directe qui peut parler à tout le monde.

As-tu craint d’être cataloguée comme « la fille qui parle cash » par les médias ?

Ça ne m’a jamais inquiétée, je le fais quand même. Mais j’avais peur de tomber dans la fachosphère, de me retrouver du mauvais côté de TikTok ou Instagram.

La masculinisphère ? Comme dans « Adolescence » ?

Exactement, cette série est tellement bien faite. J’ai pris un café avec Kalika, une chanteuse extraordinaire qui est pour moi la vraie pop star française actuelle. Les médias la boudent alors qu’elle propose quelque chose de radicalement différent, tant au niveau de l’image que du contenu.

Frankie & Nikki pour Billboard France

Tu avais dit aimer FKA Twigs. C’est un modèle pour toi ?

J’aime beaucoup, mais je ne fais pas du tout sa musique. Ça m’agace que les médias la mentionnent pour décrire ce que je fais.

C’est le cliché facile : « une métisse qui danse ».

Alors que ce n’est pas du tout ça.

Tu es allée la voir en concert ?

Elle était au Zénith quand je jouais à Nîmes, je n’ai pas pu y aller. Je ne l’ai jamais vue en live, alors que c’est l’artiste de ma vie. Je dois absolument la voir un jour.

Tu as signé chez Panenka, qui a un ADN rap. Est-ce que tu en écoutes beaucoup ?

Oui, assez. En France, c’est là où je trouve les textes les plus intéressants.

Quels sont tes rappeurs préférés, hormis ceux de ton label ?

J’en écoute moins actuellement. J’aimais beaucoup Damso pour son écriture, mais son dernier album m’a déçue. Dès la première minute, il traite une femme de « pute ». C’est ce double discours qui m’agace : prétendre être féministe tout en utilisant ce vocabulaire dans tous ses morceaux. Si on est féministe, il faut l’être activement. Il a sorti un morceau sur la misandrie il y a deux ans, mais ce n’est pas suffisant.

Il disait lire des auteures féministes.

Qu’il le mette dans sa musique alors, car je ne le vois pas. Ipséité avait cette dimension, mais c’est bien, il veut une médaille ? Il faut être conséquent.

Récemment, on a vu des artistes engagés dans leurs textes mais pas dans leur vie privée.

Exactement. C’est simple : si on se dit féministe, on ne traite pas les femmes de « putes » dans ses morceaux.

Qui a encore du crédit à tes yeux ?

Georgio n’est pas « cancel ».

Tu as collaboré avec lui et Ben Mazué. Comment s’est faite la collaboration avec ce dernier ? C’est surprenant, il a la quarantaine et fait des morceaux de « daron » comme Semaine A / Semaine B.

C’est lui qui m’a contactée, et nous avons passé 45 minutes très efficaces en studio. J’ai adoré le morceau.

Tu fais souvent des collaborations qui ne sortent pas ?

J’adore collaborer, c’est stimulant et excitant. J’ai pas mal de collaborations non sorties que je regrette.

Lesquelles ?

Il y a eu un featuring avec Adèle Castillon qui était bien, mais qui n’est pas sorti. On est en contact. Rien n’est définitivement perdu. J’adorerais faire plus de featurings, surtout avec des femmes.

Tu as sorti l’album en janvier. Tu t’es remise au studio ou tu es en pleine tournée ?

Je suis en pleine tournée, mais le manque d’écriture se fait sentir, c’est frustrant.

As-tu besoin de vivre des expériences pour écrire, ou peux-tu créer sans cela ?

Un peu des deux. Si l’inspiration vient, j’écris, mais c’est généralement mieux d’avoir vécu des choses pour en parler.

En tournée, vit-on vraiment des choses, ou est-ce une existence à part ?

C’est plutôt coupé du monde réel, avec des temporalités très particulières.

Heureusement, c’est surtout le week-end.

Souvent, nous jouons du jeudi au samedi, et le dimanche est perdu en trajet. Le lundi, je me repose, et ça recommence. Mais j’aime ce rythme, j’ai l’impression d’aller au bureau.

Beaucoup d’artistes voient la tournée comme un moment de détente.

C’est exactement ça. Pour moi, c’est une forme de détente, même si c’est fatigant et intense. Ça normalise le travail, comme si j’allais au bureau le week-end.

C’est étrange pour un artiste, car ça ne ressemble pas vraiment à un travail.

Oui, mais c’en est un, juste particulier.

Frankie & Nikki pour Billboard France

Et on ne peut pas quantifier la productivité artistique : parfois l’inspiration vient rapidement, parfois on traverse des périodes sans rien créer de satisfaisant.

Tout à fait.

Prépares-tu des surprises spéciales pour l’Olympia ?

Oui, plein de choses que je garde secrètes, mais dont je suis très enthousiaste.