Arnaud Meersseman : « Les méga stars préfèrent les tournées solo aux festivals. »

Alors que les méga concerts battent des records, le Président d’AEG Presents France revient sur son parcours et décrypte les transformations d'un secteur devenu depuis la pandémie le fer de lance de l'industrie musicale.

Pierre Daschier pour Billboard France

Depuis 2018, Arnaud Meersseman est à la tête d’AEG Presents France. Filiale du géant américain de la production de concerts AEG, la branche française s’est rapidement montrée incontournable dans l’hexagone, notamment par sa supervision de salles de concert emblématiques, du festival Rock en Seine et par la production des tournées en France de superstars comme Taylor Swift, Tyler The Creator, Sabrina Carpenter ou encore Fred Again.

Son parcours, marqué par une vocation rapide pour les concerts et le spectacle vivant, l’a poussé à changer de vie. Passé d’une formation académique à Sciences Po Lyon à un tourneur montpelliérain, son flair l’amène à être repéré par Salomon Hazot, patron de Nous Productions et producteur historique d’artistes internationaux en France (U2,  Metallica, les Red Hot Chili Peppers, Ed Sheeran…).

Producteur du concert des Eagles of Death Metal le 13 novembre 2015, il est blessé pendant l’attaque du Bataclan. Il revient chez Nous Productions après un court passage chez Fimalac, mais sent qu’un nouveau défi l’attend. De manière entrepreneuriale, il convainc AEG de créer un bureau français. Il en prend la tête en 2018, avec l’ambition d’en faire un acteur de référence dans l’hexagone.

7 ans plus tard, solidement implanté sur le secteur des salles (Accor Arena, Adidas Arena, Bataclan) et des tournées internationales, AEG Presents France peut se donner les moyens d’ambitions nouvelles. La structure développe désormais de jeunes talents français (Theodora) et se permet même des excursions sur des lives hors de la musique. Rencontre avec un passionné.

Pierre Daschier pour Billboard France

Quels ont été vos premiers pas dans la musique ?

Mes débuts dans la musique remontent à un stage chez un tourneur basé à Montpellier, qui s’appelait PiPole. À l’époque, j’étais étudiant à Sciences Po et j’avais envie de travailler dans le secteur musical. Initialement, je devais partir au ministère des Affaires étrangères, mais ma passion pour la musique a finalement pris le dessus. À l’issue de ce stage, ils m’ont embauché et j’ai terminé mon cursus à Sciences Po. J’ai beaucoup travaillé dans la musique électronique, puis j’ai progressivement élargi mes horizons, tout en restant centré sur des artistes internationaux et la scène new-yorkaise. C’est ainsi que j’ai commencé à collaborer avec l’univers de DFA Records, avec des artistes comme LCD Soundsystem, Soulwax, etc.

Tout cela vers le milieu des années 2000 ?

Oui, vers 2006 ou 2007. À ce moment-là, je commençais à ressentir une certaine lassitude à Montpellier. J’avais besoin de nouveauté, de changement. J’ai alors commencé à faire savoir que j’étais prêt à bouger. C’est dans ce contexte que Salomon Hazot m’a proposé de rejoindre Nous Productions, ce que j’ai fait en 2010.

Là, mon champ d’action s’est considérablement élargi. Je suis passé de la musique électronique à des univers beaucoup plus diversifiés. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à travailler avec des artistes comme Lana Del Rey, The Weeknd, et toute la nouvelle vague du hip-hop comme Wiz Khalifa, Future, Tyler the Creator, Frank Ocean avec qui je travaille toujours, puis j’ai évolué vers la pop. J’ai poursuivi dans cette voie jusqu’en 2015, une année marquée par un drame : je produisais le concert des Eagles of Death Metal au Bataclan lorsque j’ai été blessé par balle. Il m’a fallu quatre à cinq mois pour me remettre physiquement, mais la reconstruction psychologique a pris quatre-cinq ans.

Une fois rétabli, je suis revenu chez Nous Productions, qui était alors en en train d’être racheté par Live Nation.  J’avais besoin à la fois de changer suite à l’événement dramatique que j’avais vécu et j’avais pas très envie d’aller travailler chez Live Nation à cette époque-là. J’avais envie d’autre chose. J’ai donc exprimé à nouveau mon souhait de partir et j’ai rejoint Fimalac. Malheureusement, l’expérience ne s’est pas déroulée comme prévu, et j’ai commencé à réfléchir à mes options. C’est à ce moment-là que j’ai appris l’arrivée d’AEG dans Rock en Seine. Je suis allé à Los Angeles pour rencontrer les équipes du Global Touring. Je leur ai dit : « Vous avez déjà l’Accor Arena, vous investissez dans un festival… Ouvrir un bureau en France aurait tout son sens. » Les discussions ont rapidement avancé, et six mois plus tard, en janvier 2018, nous avons lancé AEG Presents France.

Il m’a fallu quatre à cinq mois pour me remettre physiquement, mais la reconstruction psychologique a pris quatre-cinq ans.

D’une certaine manière, s’agissait-il presque d’un projet entrepreneurial ?

En quelque sorte, oui, même si je n’y ai pas investi d’argent personnel (rires). C’est moi qui ai pris l’initiative de les solliciter, car je voyais une logique évidente à leur installation à Paris, notamment avec des atouts comme Rock en Seine et l’Accor Arena. Il me semblait naturel d’y adjoindre une activité de production de concerts.

Pierre Daschier pour Billboard France

Et vous êtes bien allé aux États-Unis pour cela ?

J’y allais pour SXSW, mais j’avais déjà en tête de faire un détour par Los Angeles pour les rencontrer.

Quels étaient les défis liés à l’ouverture du bureau français ?

Pour commencer, je n’avais jamais dirigé une entreprise. Il a donc fallu découvrir tout l’aspect administratif. J’étais producteur, mais pas gestionnaire. Cela impliquait aussi de recruter les bonnes personnes, de constituer une équipe. Bien sûr, il y avait également l’aspect commercial. Mais la dimension humaine a été une vraie révélation pour moi. Aujourd’hui, je suis très heureux de l’équipe que nous avons : des profils solides, une excellente dynamique de travail. C’est devenu mon principal point d’attention.

Combien étiez-vous en 2018 et combien êtes-vous aujourd’hui ?

En 2018, on était cinq, installés dans mon salon. Aujourd’hui, on est quasiment une cinquantaine.

Vous êtes également très investi dans l’immobilier de salles, n’est-ce pas ?
Le cœur de métier d’AEG a été l’immobilier et les salles depuis le début. Je n’ai plus le nombre exact, mais le groupe détient plus d’une centaine de salles dans le monde, de l’Australie à l’Asie, en passant par les États-Unis. L’exploitation de salles a toujours été dans l’ADN d’AEG.  Pour moi, AEG a démarré avec les salles, puis les concerts sont venus après.

En France, on a une holding, qui s’appelle la Paris Entertainment Company et qui chapeaute le Bataclan, l’Adidas Arena et l’Accor Arena, dont on détient 42 %. En Europe, on a également le O2 à Londres, la Mercedes-Benz Arena à Berlin, l’Avicii Arena à Stockholm.

Pendant le Covid, avez-vous envisagé les concerts virtuels ou le métavers ?
Très peu. On a fait quelques live streams comme Nick Cave ou Rock en Seine en version assise, mais honnêtement, ce n’est pas ma passion. Pour moi, un concert, c’est être ensemble, physiquement. C’est ce qui m’anime.

Pourquoi le modèle des festivals semble-t-il plus fragile que celui des concerts ?
Les méga stars préfèrent les tournées solo aux festivals, car elles ont plus de contrôle et c’est plus rentable. Il y a aussi une inflation cachée dans les coûts, les artistes veulent offrir des shows très calibrés. Depuis le Covid, le public a tendance à percevoir un set en festival comme “moins bien” qu’un vrai concert.

Pierre Daschier pour Billboard France

On parle beaucoup des inégalités croissantes entre artistes, notamment dans le live ?
Complètement. Aujourd’hui, le live finance tout : très peu d’artistes vivent du streaming. Ceux qui tournent doivent donc se démarquer, offrir quelque chose d’exceptionnel. Il y a une surenchère dans la production, l’exclusivité, l’engagement avec les fans. Cela crée un cercle un peu fou.

Et cela passe aussi beaucoup par les réseaux sociaux ?
Clairement. Il y a une FOMO (fear of missing out) permanente. Les gens veulent être présents, le montrer. Comme quand Taylor Swift fait monter Gracie Abrams sur scène : ce moment devient un graal. Les fans se sentent élus, font partie d’une minorité, et ils partagent ça partout.  Il y a un phénomène très nourri par les réseaux sociaux aussi, ce truc de « Regardez moi, j’y étais, je vis une expérience incroyable. Il y a 65 000 places quand je suis dans un stade pour une demande de 2 millions de personnes, et je fais partie de ces petits 2% d’élus. »

Taylor Swift fait partie de vos productions et ses concerts à Paris ont attiré énormément de fans étrangers. À quel point étaient-ils majoritaires ?
Je ne dirais pas que c’était 80 %, mais il y a effectivement eu un afflux impressionnant de spectateurs venus de l’étranger. En Europe, les billets sont généralement moins chers qu’aux États-Unis, ce qui pousse beaucoup de fans, plutôt que d’acheter leurs billets aux États-Unis, à s’offrir 5 jours de vacances et venir en Europe. De plus, Paris accueillait les premières dates de la seconde partie de la tournée, ce qui attire naturellement les fans les plus engagés, ceux qui veulent vivre les tout premiers concerts.

Si vous l’aviez voulu, auriez-vous pu faire encore plus fort ?

On a fait quatre dates à Paris La Défense Arena et deux au Groupama Stadium à Lyon, mais on aurait pu en rajouter beaucoup plus.

Ce phénomène de fans internationaux, on le retrouve aussi dans la K-pop. Est-ce que cela traduit une forme d’inégalité croissante entre fans ? Une élite pouvant voyager à travers le monde, tandis que d’autres restent sans billet ?

Ce genre d’événement est rare. Ceux qui ont plus de moyens peuvent se permettre les meilleures places et les déplacements, c’est certain. Mais il existe aussi des dispositifs pour aider les fans les plus investis, comme les préventes réservées aux membres des fan clubs. Lorsque la billetterie ouvre, tout le monde a en théorie la même chance. Cependant, la montée des prix limite l’accès de certains : on ne pourra pas multiplier les concerts indéfiniment car les salaires ne suivent pas. Parfois, les tarifs deviennent excessifs et cela peut finalement nuire à l’artiste.

On sent un pic d’engouement pour le live K-Pop en France en 2025 (entre les concerts d’ATEEZ, TXT, BLACKPINK et Stray Kids), comment la traitez-vous et est-ce vous sentez un climax cette année?

Je dirais que le pic est venu même avant, en 2023 ou 2024. Aujourd’hui, l’heure est à la normalisation. Chez AEG, on a des bureaux basés en Corée qui sourcent les artistes, et on signe des accords avec les producteurs locaux. On est très présents sur ce style là, notamment parce que Paul Tollett, le programmateur de Coachella, a été un des premiers à accueillir un groupe de K-Pop en headline, à savoir BLACKPINK en 2019.

C’est un public spécifique, très jeune, hyper engagé. C’est vraiment des passionnés, des gens qui vivent le truc de A à Z. Et surtout, les concerts de K-Pop sont des shows démesurés, durant souvent 3 heures, 3 heures 30. Les gens en ont vraiment pour leur argent. Et c’est un engagement avec des gens qui viennent dormir 48 ou 72 heures avant devant la salle. C’est un monde à part. 

C’est un public spécifique, très jeune, hyper engagé. C’est vraiment des passionnés, des gens qui vivent le truc de A à Z.

Le problème des faux billets est de plus en plus présent. Comment le gérez-vous ?
En France, la législation est parmi les plus protectrices au monde pour les producteurs et artistes. Ekhoscènes (Ndlr : le syndicat national du spectacle vivant privé) a réussi à mettre en place une législations qui interdit la revente de billets au-dessus du prix officiel sans autorisation, ce qui limite les abus. Mais comme pour tout produit rare, un sac de luxe, une pièce de haute couture, quand la demande dépasse l’offre, il y a toujours des contrefaçons, des arnaques. C’est un combat permanent, comparable à celui dans le marché des produits de luxe.

En 2025, existe-t-il une solution technologique infaillible contre ce fléau ?
On fait tout notre possible : billets électroniques, QR codes dynamiques, envois 48h avant l’événement… Mais c’est un jeu du chat et de la souris. On crée des protections, les faussaires trouvent des parades. Les plateformes développent des outils pour détecter et désactiver les faux billets. Ce n’est pas parfait, mais les progrès sont réels.

Pierre Daschier pour Billboard France

Que pensez-vous de la tarification dynamique ?

C’est un sujet exploré. Les opposants craignent une explosion des prix, les partisans estiment que cela permettrait à l’artiste de capter la vraie valeur du marché, plutôt que de la laisser aux revendeurs. Je n’ai pas encore d’avis tranché, et en France, ce n’est pas encore à l’ordre du jour.

Pierre Daschier pour Billboard France

Avez-vous développé les événements extra-musicaux dès le début ?

Non, c’est venu plus tard. Au départ, nous avons consolidé notre cœur de métier. AEG est une marque reconnue par les artistes internationaux, ce qui nous a permis de nous ancrer solidement dès 2018-2019. En 2019, nous organisions 80 concerts. Aujourd’hui, c’est environ 650.

En 2020, nous étions prêts à accélérer, mais la crise sanitaire nous a stoppés net. Pendant deux ans, nous avons essentiellement géré des reports. En 2022, les concerts ont repris avec une intensité folle, avec des artistes comme les Rolling Stones ou Green Day. Nous avions des équipes pensées pour 80 concerts, et il a fallu gérer quatre à cinq fois plus. Les années 2022 et 2023 ont donc été consacrées à la structuration. Une fois cela stabilisé, nous avons pu, dès 2023, nous ouvrir davantage, d’abord aux artistes français comme Polo & Pan ou Theodora, puis aux formats non musicaux.

Pierre Daschier pour Billboard France

Quels sont les principaux défis pour un producteur de concerts aujourd’hui ?

Il y en a plusieurs. Le premier, c’est l’inflation des coûts. Tout a augmenté : les cachets, les transports, les hôtels, la technique. Cela met une pression énorme sur les modèles économiques. Ensuite, il y a la question de la billetterie. Le public achète ses places de plus en plus tard, ce qui complique la gestion des risques. Enfin, il y a la concurrence croissante, avec une explosion du nombre d’événements, de festivals, de tournées. Il faut réussir à se démarquer, à proposer quelque chose de fort, d’unique.

Et dans ce contexte, comment voyez-vous l’avenir ?

Je suis plutôt optimiste. Malgré les difficultés, la demande pour les concerts reste très forte. Les gens ont besoin de vivre des expériences collectives, de se retrouver, de vibrer ensemble. Le live reste un moment unique, irremplaçable. C’est à nous de nous adapter, d’innover, de continuer à faire rêver. J’ai la chance d’avoir une équipe formidable, engagée, créative. Cela me donne confiance pour la suite.

Propos recueillis par Ulysse Hennessy pour Billboard France