Henri Jamet : « Les nouvelles vitrines de la France sont le rap, le R’n’B et l’afrobeats. »

Après un premier semestre marqué par des résultats « historiques », le directeur général de Believe France revient sur les ambitions du groupe et sa place actuelle sur le marché français.
Henri Jamet

Henri Jamet dans les locaux de Believe France

Crédit : Félix Devaux

L’année 2024 marquait une étape cruciale dans la carrière d’Henri Jamet. Après onze années au sein de Believe et plus de 20 ans dans l’industrie musicale, il est devenu directeur général de la branche française du groupe, succédant à Romain Vivien.

Avant d’assurer cette nouvelle fonction, Henri Jamet était à la tête des labels Animal63, naïve, Morning Glory et AllPoints. Il a ainsi vu de nombreux artistes s’imposer comme des têtes d’affiche des scènes française et internationale : Jul, PNL, The Blaze, Jeanne Added et plus récemment Nej’, Bouss, ou encore Werenoi.

Henri Jamet se livre en exclusivité pour Billboard France sur son parcours, l’importance de la nouveauté pour Believe ainsi que les objectifs du groupe, notamment dans le live et le publishing.

Crédit : Félix Devaux pour Billboard France

Les premiers pas dans la musique

Lorsque tu manages un artiste, tu noues une véritable relation humaine avec lui. Tu gères un peu tout, tu deviens presque son aide de vie.

Vous avez fait en partie vos premiers pas dans la musique grâce au management et à l’organisation d’événements.

Selon vous, manager un artiste est le moyen de se former, pourquoi ?

Oui, je le pensais à l’époque et 20 ans après, je le pense encore. Chef de projet, c’est un métier qui est couteau suisse et tu touches à tout mais, lorsque tu es manager, tu es au cœur de tout ce qui peut se faire comme métiers dans l’industrie musicale. Le métier au-dessus c’est celui d’artiste.

Lorsque tu manages un artiste, tu noues une véritable relation humaine avec lui. Tu gères un peu tout, tu deviens presque son aide de vie. En parallèle, tu échanges avec les avocats, la maison de disques… Cette expérience m’a énormément formé : elle m’a appris à respecter la création artistique, à mieux comprendre l’artiste, et, plus largement, à saisir ce que signifie être artiste dans le monde actuel.

Vous débutez chez Universal Music France, au sein du service special marketing (ndlr consacré aux compilations). Vous rejoignez ensuite ce même service chez Wagram au milieu des années 2000.

Quel impact ce service a eu sur votre carrière ?

À l’époque, c’était le boom des compilations, avant que la crise ne frappe. Le support physique vivait presque son apogée. Aujourd’hui, on peut dire que les compilations ont été remplacées par les playlists.

Le special marketing, c’est une belle école : tu touches à tout, un peu comme dans le management. Tu fais les pochettes, les clearances (ndlr autorisation pour utiliser un titre d’un label tiers), l’artistique, le tracklisting, le marketing… C’est une excellente formation, parce que ça t’apprend à être très rigoureux.

Chez Wagram, qui était leader des compilations au début des années 2000, je me suis vraiment éclaté. Je travaillais aussi sur tous les styles : techno, reggae, métal, rap, pop. Moi qui aimais toutes les musiques, je m’y retrouvais totalement. Je pouvais autant m’éclater sur une compil’ années 80 que sur de la techno hardcore, de la house ou du reggae.

En parallèle, j’étais aussi manager de groupes de rock et j’organisais des concerts de rock et de rap. D’un côté, j’apprenais le métier en maison de disques, et de l’autre, je développais l’artistique grâce au management.

Entre ces expériences chez Universal et Wagram, vous étiez chef de pub chez NRJ. Pourriez-vous revenir dessus ?

J’ai fait mon stage de fin d’études puis un CDD chez Universal. Ensuite, il a fallu que je paie mon école de commerce, j’avais un emprunt… Il fallait bien trouver un boulot. Ce n’était pas vraiment aligné avec mes goûts musicaux de l’époque, mais j’ai postulé pour cette offre chez NRJ : il s’agissait de vendre de l’espace publicitaire, et j’ai été pris en CDI.

J’y suis resté environ un an. C’était une expérience particulière : la journée j’étais en costume et je rencontrais des agences de pub, Carrefour ou L’Oréal pour leur vendre de la publicité et des projets spéciaux. Le soir, j’organisais des concerts de rock indé à la Flèche d’Or. Je passais littéralement du costard à la scène.

J’y ai beaucoup appris, surtout sur les techniques de vente : savoir entrer dans le bureau d’un inconnu, engager la conversation, présenter une proposition. Il s’agissait d’embarquer les gens avec soi.

Crédit : Félix Devaux pour Billboard France

Believe comme précurseur

Comment s’est passé votre passage de Wagram à Believe ? Votre rencontre avec Romain Vivien ?

Fin 2012, j’étais responsable marketing chez Cinq7. C’était une période géniale : je m’occupais d’artistes comme Lilly Wood and the Prick, The Dø, Dominique A, Saez… Nous avons eu beaucoup de succès, dont plusieurs Victoires de la Musique cette année-là.

À cette période, j’ai reçu un appel me proposant de rencontrer Romain Vivien, que je ne connaissais pas. Believe et Idol commençaient à émerger autour d’une nouvelle offre de service : la distribution digitale. J’ai accepté le rendez-vous, parce qu’il ne faut jamais dire non à une rencontre.

Cette discussion a changé ma trajectoire. Romain m’a d’abord expliqué ce qu’était Believe, mais il m’a surtout dit ce qui allait se passer dans les quinze années suivantes : les artistes allaient récupérer une partie du pouvoir par l’entreprenariat. Pour moi, qui venais de la scène indépendante, c’était une vision qui me touchait profondément.

Il y avait aussi l’aspect technologique, que j’ai toujours adoré. L’idée qu’on allait voir apparaître de nouveaux interlocuteurs dans l’industrie, au-delà des radios et des disquaires traditionnels, me fascinait. Believe incarnait déjà le futur : indépendance, accompagnement des artistes-entrepreneurs et technologie.

J’étais venu pour m’informer, mais j’ai été immédiatement séduit. Très vite, j’ai décidé de me lancer dans l’aventure.

Comme vous le dites, Romain Vivien avait déjà cette vision d’une industrie en pleine mutation, où les artistes-producteurs, et pas seulement dans le rap, auraient besoin de solutions nouvelles...

Ce n’était pas seulement le rap : la musique électronique aussi représentait une force indépendante majeure. Aujourd’hui encore, assez peu d’artistes de ce genre sont signés en major.

Le rap, bien sûr, était aussi concerné. À cette époque, les majors signaient moins de nouveaux talents. Il y avait bien sûr la Sexion d’Assaut ou Booba mais de plus en plus d’artistes commençaient à exploser sans passer par les maisons de disques traditionnelles.

Un exemple marquant : Youssoupha. Il venait d’une major, puis il a monté son label et il est devenu l’une de nos premières signatures. Il est ainsi passé du statut d’artiste à celui d’entrepreneur.

Il existait donc une scène rap très vivante, mais qui n’apparaissait pas dans les tops officiels. On la voyait dans les concerts, dans la rue, sur les plateformes de téléchargement illégal, mais pas dans les parts de marché. Il fallait simplement sentir cette énergie.

L’explosion est venue un peu plus tard, autour de 2015-2016, avec Jul, PNL et d’autres. Quand j’ai rejoint Believe en 2012-2013, on était encore avant ce basculement, dans une phase de structuration.

Ce qui m’a séduit chez Believe, c’est la vision. Believe apportait une expertise nouvelle de distribution digitale aux artistes, mais anticipait déjà qu’ils auraient besoin de bien plus qu’une mise en vente sur le site de la FNAC ou sur iTunes, et qu’il faudrait, demain, accompagner les artistes sur la promotion, le marketing, l’artistique.

C’est pour ça qu’ils sont venus me chercher : parce que j’aimais faire du développement et travailler au quotidien avec les artistes pour les faire grandir.

Henri Jamet
Crédit : Félix Devaux pour Billboard France

Diriger un groupe majeur en France

L’année 2025 est déjà un vrai succès pour Believe. Sur le premier semestre, vous occupez les 5 premières places du Top Albums et sur les 5 premiers titres au Top Singles, 4 sont chez Believe.

Quelle est votre stratégie pour parvenir à de tels résultats ?

C’est un résultat historique. Pour la première fois, nous sommes en tête du Top 200 du SNEP, qui regroupe les 200 meilleures ventes. Ce classement représente environ 20 % du marché global et reste un indicateur majeur de la tendance.

En termes de volumes, nous sommes leaders à la fois sur le top album et le top single, international et local confondus, ce qui est très significatif. Ce succès n’est pas une fin en soi, il est avant tout celui des artistes que nous accompagnons : leur audace, leur exigence, leur créativité. C’est aussi le fruit du travail des équipes, passionnées et sur le terrain en permanence.

Ce n’est pas la première fois que nous sommes en tête sur un segment, mais là, être leaders au global sur un semestre entier, c’est une confirmation. Nous affirmons notre rôle de catalyseur de la scène musicale française.

Believe est parfois qualifiée de « 4ème major » ? Voyez-vous cela comme quelque chose de péjoratif ? Comment sont vos relations avec ces dernières ?

Ce n’est pas péjoratif de dire que nous sommes une major mais nous ne nous considérons pas comme telle. On peut nous qualifier d’acteur majeur, au sens d’un acteur principal du marché français, et ce n’est pas un terme négatif. Mais notre spécificité est d’être une One Global Artist Development Company, un groupe indépendant international bénéficiant d’une forte implantation locale, développant des artistes à chaque étape de leur carrière grâce à notre expertise et à notre modèle unique.

Par ailleurs, Believe a été construit sur la base d’un modèle global. Nos équipes opérationnelles sont centralisées (légal, finance, comptabilité…) et nos technologies sont déjà totalement intégrées de façon globale. C’est en partie ça qui différencie Believe et les majors.

J’ai beaucoup d’amis chez Universal, Sony ou Warner, certains responsables de labels viennent de chez nous, et inversement. J’ai fait la même école que certains. J’étais, pour l’anecdote, dans la même promotion et même colocataire avec Alexandre Kirchhoff (ndlr : directeur général de Capitol Music) ! Marie-Anne Robert (ndlr : présidente de Sony Music France), à qui j’ai succédé en arrivant ici, venait aussi de ce milieu. Bref, c’est un petit monde.

Au final, nous faisons tous le même métier. Les relations sont bonnes et la compétition est saine.

On évoque de plus en plus le fait que les majors recentrent leurs activités vers la gestion de catalogues en partie grâce à une stratégie de rachats.

La création de catalogue est-elle une priorité dans la stratégie de Believe ?

Ce qui nous différencie aussi des majors, c’est le catalogue. Believe n’aura jamais les Beatles, Michael Jackson, Oasis ou Bob Marley. Depuis près de vingt ans, notre métier, c’est de développer de nouveaux artistes, locaux, et c’est ce qui fait notre singularité.

Cela dit, le catalogue est devenu une composante essentielle du marché. Sa part augmente mécaniquement chaque année : en gros, dès qu’un titre dépasse les 24 mois, il bascule dans une partie « catalogue ». Aujourd’hui, il occupe une place de plus en plus importante, aussi bien chez les majors que chez nous.

Il y a d’ailleurs une vraie effervescence autour de ce sujet : rachats, stratégies d’activations… C’est un axe important, autant pour les grands groupes que pour certains fonds d’investissement.

Vous avez été nommé directeur général de Believe France, il y a presque un an, à la place de Romain Vivien qui occupait ce rôle depuis 2008.

Qu’est ce que cela a changé pour vous ? Quelle est la première action que vous avez souhaité mettre en place à votre arrivée ?

Quand j’ai pris mes fonctions, la première chose à laquelle j’ai pensé, presque instinctivement, c’était la parité femme-homme. L’objectif reste clair : arriver à du 50/50. On peut agir à plusieurs niveaux : dans l’organisation interne, mais aussi pour soutenir les artistes féminines, les entrepreneuses, et les minorités de genre.

L’une de mes premières actions a d’ailleurs été de mettre en place un programme de mentorat avec mes équipes et MEWEM.

Plus largement, ma question de départ était : « Comment être utile sur la diversité et la parité dans une industrie où, en France, on est encore loin du compte ? » Aujourd’hui, la seule mesure valable, c’est la parité dans l’industrie, et on n’y est pas. Si on regarde les playlists, les tops, les choses avancent, mais trop lentement.

Pour donner un exemple : dans le dernier classement du SNEP, 40 artistes féminines ont classé un album dans le top 200, dont plus de la moitié en production française. Quatre figurent parmi les 20 meilleures ventes. Ça représente 20 %, ce qui montre une progression, mais on est encore loin d’un équilibre.

Sur un plan personnel, cette nomination a été un vrai bonheur. Il y a eu une continuité avec Romain, qui est passé de patron France à Président Europe et Directeur Musique Global. Pour ma part, j’ai gardé mes responsabilités sur les labels, et surtout ma passion : l’artistique, que je continue à suivre au quotidien.

Quand j’ai été nommé, j’ai aussi et tout de suite pensé à comment je pourrai continuer à pouvoir écouter autant de musique et découvrir des producteurs, artistes… Mais c’est une hygiène de vie pour moi, ça doit être tous les jours ! Faut garder la forme ! Comme découvrir une nouvelle recette de cuisine…

Henri Jamet
Crédit : Félix Devaux pour Billboard France

Y a-t-il une grande différence entre diriger Believe France et diriger différents labels comme c’était le cas avant votre nomination ?

Au fond, je fais ce métier avec la même passion et le même entrain. La vraie différence, c’est peut-être la dimension humaine : plus de départements à gérer, donc plus de temps consacré à la gestion d’équipe.

Mais ce qui m’anime reste le même : proposer le bon contrat et la bonne offre au bon moment dans la carrière d’un artiste, avec les meilleurs outils et les meilleures équipes.

Qu’il s’agisse d’un contrat de distribution pour un label ou d’un contrat d’artiste, la philosophie est identique : accompagner, avec exigence et innovation, en mettant toujours l’artistique au centre.

Même si vous occupiez des postes en lien avec le marketing, très vite vous vous impliquez sur la signature d’artistes.

Comment les repérez-vous chez Believe ?

Si je prends l’exemple de Bouss et de Werenoi, qui sont probablement les plus gros succès récents du marché français, ce sont deux jeunes artistes que nous avons signés très tôt dans leur carrière.

C’est le travail de toute une équipe de directeurs artistiques qui repèrent et me présentent ces profils. Ensuite, il faut être réactif : trouver la bonne offre au bon moment, établir le bon partenariat.

Car il s’agit bien de partenariats avec des entrepreneurs, pas de relations de type dominant-dominé comme on peut parfois l’imaginer dans l’industrie.

Finalement, la clé, ce sont les équipes. Ce sont elles qui, chaque jour, remontent les nouveaux talents qui émergent dans tous les genres.

Chez cinq7, vous avez côtoyé Oxmo Puccino, qui sort prochainement son album chez Believe.

Avez-vous gardé des liens avec les premiers artistes avec lesquels vous avez travaillé ? Y a-t-il un moment l’artiste devient presque un ami ou ça reste toujours uniquement professionnel ?

Comme je le disais, c’est un petit milieu, et au fil des années on crée des affinités professionnelles. Oxmo Puccino a été signé chez Wagram par Alan Gac. J’étais son chef de projet et, étant un passionné de rap, j’étais ravi qu’on accueille un artiste comme lui.

Nous avons sorti l’album L’arme de paix, qui a été un vrai succès. Dès cette époque, des liens forts se sont créés avec ses producteurs, Derrière les Planches, et qui existent encore aujourd’hui, plus de 20 ans après.

Lorsque je suis arrivé chez Believe, nous avons engagé des discussions, aussi bien sur son catalogue que sur ses nouveaux projets. C’était naturel finalement.

Cet été, Hamza a sorti MANIA. En fin de contrat avec Warner en 2023, qui est une major, il décide finalement de partir chez Believe.

Pourriez-vous revenir sur cette signature, et notamment ce qui a motivé l’artiste à s’engager avec vous ?

Je pense que les raisons ont été avant tout humaines. Un peu comme dans le mercato pour le football : on sait assez vite avec qui il faut entamer des discussions.

Avec Hamza, on a commencé à échanger quasiment deux ans avant la sortie de Sincèrement. Et au départ, ce n’était même pas des discussions business : c’était une relation humaine, un dialogue, une confiance qui s’installe. Après, l’équipe d’Hamza a gardé de super relations avec Warner, ils continuent de faire du business ensemble d’ailleurs…

Bien sûr, on a mis en avant ce que Believe pouvait apporter par rapport à leurs partenaires précédents comme nos outils technologiques, nos équipes, notre savoir-faire. Mais je pense qu’ils avaient déjà pris leur décision de travailler avec nous avant même la sortie de Sincèrement.

On s’est beaucoup déplacés, on a multiplié les rencontres, et je crois que c’est ça qui a fait la différence. Car à leur niveau, ils auraient pu signer quasiment le contrat qu’ils voulaient ailleurs. Ce qui a compté, c’est la manière dont on les a approchés, entretien après entretien, avec sincérité.

La musique francophone en dehors des frontières

En 2023, vous signez Yamê en mars, quelques mois plus tard, Bécane devient un phénomène mondial.

Quelle est la capacité de Believe à développer un artiste à l’inter ?

C’est d’ailleurs actuellement la vidéo francophone la plus vue de l’histoire de Colors.

La clé, ce sont nos équipes. Nous opérons dans plus de 50 pays, avec des équipes locales qui travaillent directement avec les artistes et les plateformes digitales du monde entier.

Believe est, par nature, une entreprise internationale. Dès ses débuts, elle a choisi de s’ancrer localement, y compris dans des marchés émergents en Asie ou ailleurs, bien avant l’ère du streaming. Cet ADN international, on l’a depuis toujours.

Pour l’export des artistes, nous combinons des outils de suivi marketing et de développement d’audience avec l’expertise de nos équipes.

Aujourd’hui, le marché est de plus en plus régional et local, mais on observe tout de même une forte capacité d’export, notamment pour la musique française. Après la French Touch, les nouvelles vitrines de la France sont le rap, le R’n’B et l’afrobeats. Notre rôle, c’est donc d’offrir aux artistes des stratégies adaptées pour aller chercher les bons territoires, au bon moment.

Ça a été le cas pour Yamê, mais aussi pour The Blaze et bien d’autres. Le développement international requiert beaucoup d’investissement, de coordination entre les équipes locales et centrales. Sur Yamê, l’explosion a été spectaculaire, et quand on regarde les streams à l’export d’un artiste comme GIMS, c’est aussi impressionnant.

Tout dépend aussi du niveau de maturité de chaque pays et de la structure de ses revenus musicaux. Par exemple, dans certains pays, la majorité des revenus provient de YouTube, ailleurs c’est Apple Music ou Spotify. Chaque marché est différent.

L’Angleterre est un marché très international et digitalisé, la France est à mi-chemin entre local et international, les États-Unis et l’Amérique du Sud sont très digitaux mais restent très locaux.

Notre approche consiste à nous adapter à chaque marché et à identifier les segments de musique et les artistes les plus pertinents pour y investir.

Courant mai, le CNM a publié la liste des singles certifiés à l’export. Believe est la structure avec le plus de certifications.

Comment travailler un hit francophone en dehors de la France ?

Je pense à plusieurs exemples de hits. Le premier, c’est Nej’ avec Paro. Une trend est partie d’Inde, et on a su la détecter très vite grâce à nos outils, à notre proximité avec les DSP et TikTok. C’est ce qui nous différencie : notre capacité à identifier une trend dès sa naissance et à l’amplifier.

Plus récemment, il y a aussi Yamê avec Bécane dont nous venons de parler. Il a complètement dépassé les frontières via TikTok et nous avons pu capitaliser dessus rapidement.

Et puis, si je prends un autre exemple plus structurel, sans forcément passer par les réseaux sociaux, je dirais The Blaze. C’est un groupe qui, très vite, a fait l’essentiel de ses revenus à l’international.

Dans ce cas, la France n’est qu’un marché parmi d’autres, et ça change complètement l’approche : ce n’est plus un chef de projet ou un directeur promo seul, mais une coordination entre plusieurs pays, plusieurs équipes, avec un rétroplanning et des investissements pensés à l’échelle mondiale.

Et puis, il y a aussi GIMS : c’est un artiste francophone, qui chante en français, et pourtant il cartonne à l’international. Ça montre que la musique francophone a désormais toute sa place dans le paysage mondial, même en dehors de l’anglais ou de l’électro.

Crédit : Félix Devaux pour Billboard France

L’avenir de Believe en France

Quels sont les principaux défis pour Believe aujourd’hui ?

Aujourd’hui, notre grand défi, c’est d’incarner pleinement ce que nous appelons la One Global Artist Development Company et cela repose sur trois grands piliers.

Remonter la chaîne de valeur. Aller de l’émergence via TuneCore par exemple jusqu’au contrat d’artiste, en passant par le publishing et, en France, le live. Cela suppose à la fois de signer de nouveaux talents et de bâtir un catalogue solide grâce à une stratégie d’acquisitions ciblées.

Rester les plus innovants. Dans notre relation avec les DSPs, les médias, les réseaux sociaux, nous devons continuer à être pionniers sur les outils technologiques et les leviers de développement d’audience. L’innovation est dans l’ADN de Believe, et ça doit le rester.

Accompagner nos équipes. Au-delà des artistes, il est essentiel que nos collaborateurs soient passionnés, épanouis et qu’ils puissent construire de vraies carrières au sein de l’entreprise. Le succès repose autant sur la force des projets que sur celle des équipes qui les portent.

À côté de ça, il y a un autre enjeu majeur : peser pour soutenir les artistes locaux. Aujourd’hui, la France reste l’un des rares grands marchés où moins de la moitié de la consommation musicale vient des artistes locaux : environ 45 %. À titre de comparaison, aux États-Unis, la musique locale représente environ 70%.

Notre rôle est donc d’agir sur tous les leviers qui peuvent renforcer la place des artistes français : diversité, émergence de nouveaux talents, recommandations éditoriales et algorithmes des plateformes, ou encore préservation des dispositifs de soutien publics.

Vous avez mentionné le live, pourriez-vous revenir dessus ?

Bien sûr. Le live est aussi un marché extrêmement dynamique, et on en avait conscience depuis longtemps. Pendant le confinement, on a pris le temps d’y réfléchir à tête reposée et nous avons créé Live Affair.

Après la crise sanitaire, nous avons pu lancer la structure en France dans de bonnes conditions avec l’avantage de ne pas avoir d’artistes en tournée au moment de la mise en place.

Aujourd’hui, Live Affair est devenu un des tourneurs qui comptent à Paris, avec des artistes comme SDM, Jul ou Yamê. C’est une vraie fierté, car le live reste pour moi un domaine essentiel et passionnant. On voit bien le rôle qu’il joue : il influence directement le streaming, la consommation des titres, et bénéficie d’une dynamique forte avec les grandes salles et les stades.

Au-delà de Live Affair, nous sommes aussi présents dans le live en France via nos partenaires stratégiques, comme Play Two ou encore Tôt ou Tard avec Zouave Production et UNI-T.

Vous avez lancé le label électro All Night Long en 2024, quels sont vos futurs projets pour ce label car il y avait déjà Animal63 qui était spécialisé sur ce genre ?

S’il y a un genre qui est véritablement international, c’est la musique électronique.

Nous avons plusieurs labels en France. Animal 63 est un label de développement généraliste en partenariat avec Savoir Faire, qui signe de la pop, de la chanson et de l’électro. All Night Long, créé avec l’agence de management Kidding Aside, est un label 100 % musique électronique, incluant toutes les variantes, mais uniquement de l’électro.

Les projets de ce label passent naturellement par l’international, puisque la majorité des revenus de la musique électronique se font hors de France. Urumi fait du Frapcore et Folamour de la house. Ce sont des styles différents, mais tous deux font partie de la musique électronique.

J’ai aussi remarqué que la techno commence à s’insérer dans le rap, c’est une niche qui grandit et qui est très puissante. All Night Long est né de cette volonté d’explorer cette scène, notamment avec Urumi parmi nos premières signatures.

Aujourd’hui, un an plus tard, on voit que les fusions continuent : Vald fait des remixes hard-techno, TRYM se produit avec des rappeurs, DJ Snake s’y intéresse également.

Believe a aussi des parts dans d’autres labels (tôt Ou tard, Play Two, Morning Glory), peut-on s’attendre à des futurs rachats ?

En France, nous avons connu une belle séquence d’investissements et de prises de participation dans des labels comme tôt Ou tard, Play Two, naïve, AllPoints, ou encore Jo&co, Morning Glory et dernièrement STRUCTURE. Aujourd’hui, nous restons attentifs à toutes les opportunités : on ne s’interdit aucune discussion ni aucun deal.

Cela dit, ces dernières années, la dynamique s’est déplacée vers l’international. Nous avons mené plusieurs acquisitions structurantes, par exemple Global Records en Roumanie, DMC en Turquie ou encore Sentric au Royaume-Uni.

Le publishing est un axe prioritaire. C’est un domaine sur lequel nous voulions avancer depuis longtemps, et nous avons choisi d’y entrer par l’acquisition d’un acteur reconnu pour son expertise technologique dans la collecte des droits.

Y a-t-il quelque chose que nous n’avons pas abordé lors de cet entretien que vous aimeriez ajouter ?

Je crois beaucoup à l’utilité de ce que nous faisons : adoucir les mœurs, faire rire ou émouvoir les gens. Nous avons un rôle social, de divertissement, mais pas seulement. Au-delà des chiffres et des classements, la culture a un impact, localement comme à l’international, et il est important d’être animé par l’envie d’être utile.

Bien sûr, les chiffres, les streams ou être numéro un, c’est sympa. Mais la musique et la culture ont un rôle plus profond : porter des valeurs d’universalité, de diversité, et, dans un monde parfois violent, apporter amusement et bienveillance.

Propos recueillis par Sinclair Langlois