Thomas Held : « RIVAJ peut se retrouver dans une concurrence déséquilibrée avec les maisons de disques. »
Illustration : Félix Devaux pour Billboard France
En 2011, Thomas Held démarrait sa carrière en fondant eForSports, une agence de services et conseil en billetterie. Trois ans plus tard, la startup était rachetée par Fimalac, groupe dirigé par Marc Ladreit de Lacharrière, avant d’être intégrée en 2019 à WETIX Agency, son éditeur de billetterie.
Cette réorganisation marque un tournant pour lui, le propulsant directeur général de Fimalac Entertainment, la branche du groupe dédiée au spectacle vivant.
Rachetée en juin 2025 par le fonds d’investissement Trévise Participations, celle-ci dévoile désormais un nouveau nom : RIVAJ Group. Thomas Held en conserve la direction. C’est dans ce contexte qu’il se livre en exclusivité pour Billboard France sur les nouvelles perspectives pour un groupe détenant 7 sociétés de production, ainsi que sur les enjeux d’un modèle basé sur l’expérientiel et sur la santé des festivals.
Ses débuts dans la billetterie et le live
Vous débutez dans l’industrie du live par l’intermédiaire de eForSports. Pourquoi avoir visé spécifiquement la problématique de la billetterie à cette époque ?
Thomas Held : L’affluence des stades avait tendance à dégringoler. J’ai eu une mauvaise idée d’étudiant en école de commerce : vendre des places à la dernière minute, à prix cassé.
Je voulais monter une boîte et je n’avais pas de passion spécifiquement pour la billetterie, mais plus largement pour un secteur d’activité. J’ai fait 6 ans dans le monde du sport, puis j’ai rejoint le groupe Fimalac, dont j’étais le directeur général depuis 2020.
L’argent que nous gagnons est réinvesti pour lancer de nouveaux formats et des artistes en développement, afin de trouver le Stromae, la Mylène Farmer, le Gazo ou le Tiakola de demain.
Pourquoi était-ce une mauvaise idée ?
Il faut faire l’inverse : vendre des billets moins chers au début et éventuellement faire augmenter le prix.
En vendant à la dernière minute, nous décevions les spectateurs qui avaient acheté en amont et payé plus cher. Nous donnions également de mauvaises habitudes à une partie des spectateurs qui se disaient qu’en attendant, ils paieraient moins cher.
Les spectateurs achètent leurs billets de plus en plus tard, désormais sur la dernière semaine ou les dix derniers jours, alors qu’avant les ventes se faisaient plusieurs semaines voire mois à l’avance. S’ils achetaient plus tôt, tous s’en porteraient mieux. L’enjeu n’est pas le prix, mais le moment d’achat.
Acheter à la dernière minute expose le spectacle à une concurrence incontrôlable : météo, télé, Netflix, matchs de foot… Avec une offre de divertissement de plus en plus accessible sur écran, le risque que les gens renoncent à venir augmente considérablement.

Dans le sport, le taux de remplissage est très variable en fonction des clubs. C’est un parallèle qui peut se faire avec la musique, entre les tournées des superstars et les dates des artistes en développement qui peuvent présenter davantage de défis.
Comment accompagnez-vous ces artistes chez RIVAJ Group ?
Nous travaillons beaucoup sur la notoriété, notamment pour les artistes en développement. C’est un travail conjoint entre maison de disques, label, tourneur, artiste et management. Nous les accompagnons de plusieurs manières : passages en festivals pour se faire découvrir, développement de leurs réseaux et présence médiatique, collaborations avec des influenceurs, autres artistes ou marques…
Notre approche avec les artistes en développement, c’est de les aider à éclore mais aussi à durer et construire une véritable carrière d’artiste de scène. Restons humbles : c’est avant tout le travail de l’artiste et de son management. Si la musique n’est pas de qualité, ça ne marche pas.
La tendance globale de l’économie de la musique s’est inversée entre live et labels. Comment avez-vous observé ce changement ?
Il se traduit par plus de dates, plus tôt dans la carrière d’un artiste. Il y a aussi beaucoup plus de festivals, ce qui joue un rôle important dans la découverte grâce aux scènes dédiées aux jeunes talents. Les SMAC et centres culturels accompagnent également cette dynamique grâce aux subventions.
On note toutefois une hausse des coûts. Ces 15 dernières années, le prix des billets a augmenté, notamment en raison des productions qui coûtent de plus en plus cher pour satisfaire les demandes du public.
Nous serons toujours comparés à de la culture publique, mais nous vivons sur nos fonds propres. L’argent que nous gagnons est réinvesti pour lancer de nouveaux formats et des artistes en développement, afin de trouver le Stromae, la Mylène Farmer, le Gazo ou le Tiakola de demain.
La tarification dynamique est encore limitée au sport dans l’Hexagone. Pensez-vous que ça puisse être un bon créneau pour résoudre la problématique des prix des billets de concerts ?
Elle se fait déjà en France, mais de manière raisonnée et maîtrisée.
Tous les festivals mettent en place des tarifs very early bird, des early bird, des last tickets… C’est une façon adaptée de faire de la tarification dynamique, mais on ne multiplie pas le prix du billet par 10 ou 15, comme aux États-Unis. L’essentiel est que cela bénéficie aux spectateurs.
Le sujet de la tarification dynamique dans le monde anglo-saxon est double : d’abord, des prix qui passent de 100 à 1 000 dollars, voire de 500 à 5 000 dollars, mais surtout, c’est un marché secondaire qui est devenu un véritable fléau.
Nous luttons contre des acteurs comme Viagogo et contre les arnaques pour maîtriser ce marché illégal en France, car c’est de l’argent qui nous échappe et qui échappe aux artistes. De plus, les spectateurs peuvent faire l’amalgame entre le site d’achat, l’artiste ou la production.
Il faut sensibiliser sur le fait qu’il y a des sites officiels pour acheter ses billets. Achetez-les au prix normal et pas au prix fort deux jours avant parce que vous risquez de vous faire arnaquer.

De Fimalac Entertainment à RIVAJ Group
Jusqu’ici nous étions sur une exception culturelle à la française. Désormais, avec RIVAJ Group, nous ambitionnons de le devenir à l’échelle européenne.
Fimalac Entertainment est devenu RIVAJ Group depuis son rachat par Trévise Participations.
Est-ce que cette acquisition change vos perspectives dans le milieu du live et de l’événementiel ?
Avec Fimalac et Marc Ladreit de Lacharrière, nous avons toujours pu aller au bout de nos idées car nous sommes un acteur privé. Fimalac Entertainment n’a jamais été une action philanthropique, nous étions là pour générer des bénéfices et c’est toujours le cas.
Avec Trévise Participations, nous souhaitons désormais développer plusieurs axes. Le premier est de monter des sociétés de production avec des acteurs du marché, et de développer de nouvelles esthétiques.
Nous voulons également développer des événements dont on serait copropriétaires, comme nous avons pu le faire avec la Paris Games Week cette année. COLLECTOR, qui a réuni Zaho de Sagazan et Air au Grand Palais, a été conçu dans cette logique.
Enfin, nous voulons proposer de nouveaux services pour des marques comme nous le faisons actuellement pour Coca-Cola. L’objectif est d’adosser ces axes à un studio créatif afin de se développer à l’échelle européenne dans les années à venir. Nous pouvons déjà compter sur Encore Productions pour atteindre ce but.
Quelles nouvelles esthétiques souhaitez-vous développer ?
L’électro, mais pas seulement.
Nous pensons que le rock, une esthétique sur laquelle nous ne sommes pas encore très présents, a aussi beaucoup d’avenir avec des tendances qui reviennent.
De manière générale, nous voulons continuer à accompagner des artistes en développement dans la pop, l’humour, le rap et tous les styles musicaux.

RIVAJ Group se démarque par son ADN français. Comment voyez-vous la concurrence de groupes internationaux comme Live Nation ou AEG ?
Nous ne sommes pas vraiment concurrents, car nous ne voulons pas nous positionner sur la tournée de Rihanna ou de Beyoncé. Ce sont des deals mondiaux qui se font aux États-Unis, pour lesquels il faut être présent dans tous les territoires, ce qui n’est pas notre vocation.
La concurrence peut se retrouver sur les artistes francophones, mais là, elle se fait à armes égales. Par exemple, nous avons aussi été sollicités pour produire Aya Nakamura, au même titre que Live Nation. Cette compétition est plutôt saine, parce qu’on se connaît tous et nous travaillons avec les mêmes règles.
Néanmoins, RIVAJ peut se retrouver dans une concurrence déséquilibrée avec les maisons de disques. Elles concluent des deals à 360° où les avances couvrent les albums et les tournées. Nous ne pouvons tout simplement pas nous aligner sur ce type de contrats.
Avec RIVAJ Group, nous voulons aller sur d’autres territoires. Jusqu’ici, nous étions sur une exception culturelle à la française. Désormais, nous avons l’ambition de protéger une exception européenne, sans pour autant entrer en concurrence avec des acteurs comme Live Nation.
La construction de votre dernière salle, l’Arena Grand Paris, d’une capacité de 9 000 personnes, s’est achevée en septembre 2024. Nous avons évoqué le fait que la France n’a pas des capacités d’accueil suffisantes pour des tournées d’envergure en comparaison de nos voisins européens.
Quel est votre avis dessus ?
Contrairement à nos voisins européens et même outre-Atlantique, les salles ont toujours été une prérogative des collectivités, liées au cahier des charges Zénith, ce qui nous a permis d’être en avance sur tout le monde.
Mais le virage des arenas multifonctionnelles n’a pas été pris parce qu’elles coûtent très cher et qu’il est compliqué d’engager des budgets de cette ampleur. Si elles ne sont pas financées ou cofinancées à minima et gérées par des exploitants privés, trouver un modèle économique est ardu.
Tremblay, c’est encore différent. La collectivité souhaitait se doter d’une salle et d’un équipement permettant d’accueillir des spectacles. Dans cette Arena Grand Paris, on accueille un public de Seine-Saint-Denis pour qui ce n’est pas toujours simple de rentrer dans Paris, mais aussi un public de l’ouest de la Champagne, du sud de l’Oise et du Nord.
Avec une salle de 15 ou 20 000 places, je ne suis pas sûr que cet ancrage aurait été le même. Est-ce que pour autant nous aurions accueilli des concerts de Lady Gaga là-bas ? Je ne suis pas sûr.
Il y a beaucoup de salles dans lesquelles nous ne pouvons pas faire de dates, non pas parce qu’il n’y a pas la population ou qu’on ne vendrait pas assez de billets, mais parce qu’elles sont trop petites techniquement. La production coûte tellement cher que même si nous vendions 100% des billets, nous ne gagnerions pas un centime.
Développer les expériences pour les fans
À l’époque d’eForSports, vous disiez que « les vraies attentes des spectateurs se situent au-delà du match lui-même et qu’ils souhaitaient vivre ‘une expérience totale’. »
Est-ce dans cette logique que vous avez lancé COLLECTOR ?
Le principe de COLLECTOR est assez simple. C’est une idée née au moment des épreuves d’escrime des Jeux olympiques, qui ont eu lieu au Grand Palais. À ce moment-là, l’envie de produire des événements uniques dans ces lieux de patrimoine est née.
C’est pourquoi nous avons décidé de commencer avec deux dates au Grand Palais. Zaho de Sagazan, le 4 décembre et Air le 5 décembre ont été accompagnés d’un orchestre symphonique dans une création inédite et adaptée au lieu. Nous voulons en faire un format dont nous sommes propriétaires et sur lequel les artistes ont plaisir à venir pour jouer des dates exceptionnelles.
Nous avons signé avec le Grand Palais pour trois ans et l’année prochaine, nous aurons quatre soirs. Le but est d’installer la récurrence du format mais aussi d’en monter d’autres dans des endroits uniques : musées, châteaux, lieux du patrimoine et surtout le faire en dehors de Paris, que ce soit en France ou à l’étranger. Nous avons déjà eu plusieurs échanges avec des capitales européennes.
Nous voulons aussi nous ouvrir à d’autres univers. Pour cette première édition, nous avons commencé par des artistes français, mais nous aimerions l’élargir à des artistes européens en plus d’organiser une date rap pour accueillir cette culture dans des emplacements d’exception.

Comment être rentable sur ce type d’événement avec très peu de dates et des scénographies conçues spécialement pour l’occasion ?
Cette année, nous ne faisons que deux dates, donc c’est un investissement rendu possible grâce à nos actionnaires, à nos partenaires privés et à des prix environ 10 euros plus chers que sur les tournées traditionnelles.
Nous avons aussi pour projet de capter ces spectacles pour que ce soit diffusé en télé ou sur les plateformes, donc le soutien des acteurs de l’audiovisuel sera important.
Même si nous souhaitons organiser plus de dates, nous n’en ferons jamais plus de 10 ou 15 par an afin de garder un format exclusif et intime.
RIVAJ Group détient 31% des Ardentes. Comment voyez-vous l’avenir de ce festival et avez-vous comme ambition l’envie d’en développer des nouveaux ?
Les Ardentes ne sont pas un festival comme les autres, car nous sommes rentables depuis plusieurs années déjà.
Il y a plusieurs problématiques pour les festivals aujourd’hui : la hausse des coûts de production, celle des cachets des artistes, mais aussi des programmations plus généralistes qui se ressemblent, ce qui n’est pas notre cas. Le public vient pour cette expérience bien identifiée. À terme, nous avons pour ambition de devenir le Hellfest ou le Tomorrowland de la culture urbaine.
Nous aimerions regarder vers d’autres festivals, à condition d’avoir un profil similaire à celui des Ardentes : un genre bien identifié et un modèle économique sain, qui ne soit pas dépendant des subventions.
L’édition 2026 de Lollapalooza a été annulée alors qu’il était le seul festival de cette ampleur à ne pas être subventionné. Est-ce quand même un modèle viable en France ?
Il y a des modèles qui existent, mais c’est de plus en plus difficile. Il faut être lucide.
Le Rose Festival est un très bon exemple. Dès la première année, ils ont réussi à être proches de la rentabilité, un objectif qu’ils ont atteint sur la deuxième et la troisième édition.
BigFlo & Oli ont fait un énorme travail en mobilisant un écosystème privé et en créant une image très identifiée par la couleur mais aussi les personnalités invitées. Ils ont réussi à mixer les univers en invitant Léna Situation et Antoine Dupont sur scène.

Les Ardentes est un festival belge, quelles sont les différences avec le modèle français ?
Nous avons la chance d’être l’un des plus gros festivals de Belgique, nous avons plusieurs partenaires privés locaux très présents. Nous avons réussi à nouer de nouveaux partenariats dont Kappa avec qui nous collaborons sur le merch. Contrairement à Lollapalooza par exemple, nous avons aussi moins de concurrence que sur la place parisienne.
Historiquement, nous avons plus de 240 000 festivaliers, là où Lollapalooza était aux alentours de 170 000 ou 180 000, voire peut-être même un peu moins. Par conséquent, notre budget programmation n’est pas le même. Nous avons un mix entre des têtes d’affiche internationales et francophones. L’équation économique est différente.
Nous avons déjà la chance d’avoir vendu beaucoup de pass lors de l’édition 2025 pour l’année 2026. Sur les 45 000 pass 4 jours, nous en avons vendu 15 000 sans avoir annoncé la programmation.
Tous les festivals mettent des very early bird, des early bird, des last tickets… C’est une façon adaptée de tarification dynamique, mais on ne multiplie pas le prix du billet par 10 ou 15, comme aux États-Unis. L’essentiel est que cela bénéficie aux spectateurs
Financement du CNM
En cette période de PLF, le financement du Centre National de la Musique est menacé par la baisse des subventions.
Comment voyez-vous l’avenir de l’opérateur et son rôle auprès d’acteurs comme RIVAJ Group ?
C’est un débat très complexe.
Nous nous sommes mobilisés pour que les plateformes de streaming et les labels participent aussi à ce financement. Ce n’était pas le cas jusqu’ici alors que le live était, quant à lui, l’un des principaux contributeurs.
Nous nous battons pour le déplafonnement de la taxe billetterie. Aujourd’hui, passé un certain seuil, cet argent ne va plus dans les caisses du CNM mais dans celles de l’État. Au lieu de réduire la dotation de l’établissement, nous recommandons la suppression de ce plafond pour que le produit de la taxe lui soit uniquement affecté et continue à aider la création sous toutes ses formes.
Pour compenser la baisse des subventions, le plafond de la taxe billetterie serait revu à la hausse mais on parle de recettes potentielles face à une baisse certaine.
À terme, les acteurs du live vont-ils devoir plus contribuer au financement de l’établissement ?
Oui, comme tous les acteurs privés en France, mais aussi les acteurs publics d’ailleurs.
Aujourd’hui, tout le monde a cette crainte, quel que soit son secteur d’activité. Cette contribution, à la fin, ne doit pas peser sur les artistes, et en particulier ceux en développement, qui sont les bénéficiaires de ces programmes du CNM.
À l’inverse, il ne faut pas non plus en faire pâtir le public en faisant exploser les prix des billets. Si ces programmes disparaissent, la seule option d’acteurs privés sera d’augmenter les prix, là où aujourd’hui nous avons la chance d’avoir une culture globalement accessible et abordable.
Propos recueillis par Sinclair Langlois