2025, premier été sans hit au niveau mondial ?

La part de marché des chansons les plus populaires en streaming a chuté drastiquement ces dix dernières années, selon Luminate. Comment l'industrie compte-t-elle réagir ?

Alex Warren, interprète d'Ordinary

Quel était le tube de l’été 2025 ? Rarement il a été aussi difficile de répondre à cette question. Selon le média, le réseau social ou encore la plateforme de streaming, la réponse peut diverger du tout au tout. Ainsi, Ordinary d’Alex Warren trône en tête du classement Billboard Song of the Summer, Love Me Not de Ravyn Lenae occupe la première place des playlists éditoriales sur Spotify, tandis que Hold My Hand de Jess Glynne a triomphé sur TikTok grâce au mème Jet2Holiday.

Nylon affirme que cet été restera « tristement célèbre » faute de tube consensuel. Pitchfork évoque une « année sans favori évident ». Le New York Times résume ainsi la situation : il y a « trop de niches ».

Cette fragmentation n’est pas liée à une année vide musicalement, mais plutôt à une nouvelle norme. Le concept de monoculture musicale perd du terrain, données à l’appui.

Données à l’appui

Selon une analyse Billboard, basée sur les rapports Luminate, la part de marché des plus gros hits a fondu. En 2016, les 10 titres les plus écoutés en streaming aux États-Unis représentaient 0,16% des écoutes totales. En 2025, ce chiffre chute à 0,05%, soit trois fois moins.

Au fur et à mesure que le streaming s’ancre dans les moeurs, les algorithmes de recommandation s’affinent et les goûts musicaux dérivent vers des niches. Résultat : créer un tube universel devient mission impossible. Avec l’essor de TikTok comme plateforme de consommation et de découverte musicale, la notion même de ‘mainstream’ se brouille encore davantage.

L’effet TikTok

Mark Mulligan de MIDiA Research l’avait anticipé dès 2024 avec sa « théorie de la bifurcation ». Les réseaux sociaux comme TikTok « émergent comme une alternative au streaming, plutôt qu’un simple tremplin« . Son dernier rapport du 16 septembre confirme cette intuition. « TikTok génère plus de consommation TikTok que de streaming », note-t-il.

Chiffre révélateur : près de trois quarts des utilisateurs qui suivent des artistes sur TikTok de vont jamais écouter leur musique ailleurs. La plateforme fonctionne en vase clos et ce qui fonctionne sur TikTok ne se traduit plus automatiquement par un succès en streaming.

Superstars en danger

Cette fragmentation menace directement l’industrie des superstars. Lizzo s’est exprimée récemment sur TikTok : « Tous les grands artistes – Lady Gaga, Drake – ont sorti des albums cette année. Pourtant, tout le monde dit qu’il n’y a pas de tube d’été. Plus personne ne peut toucher les masses. »

Alors que les fans peuvent accéder à pratiquement toute la musique enregistrée de l’histoire pour 11,99 euros par mois, pourquoi se limiter aux hits ? Exit les prescripteurs d’antan – DJ radio, disquaires, programmateurs TV. L’offre musicale s’étale désormais comme un buffet sans fin. Mais il faut bien s’y retrouver dans cette profusion, et c’est là qu’interviennent les algorithmes. Ces derniers poussent les auditeurs vers des niches ou vers d’anciens titres du ‘catalogue’ (morceaux de plus de 18 mois) qu’ils connaissent déjà.

Explosion de l’offre musicale

Environ 100 000 chansons sortent chaque jour dans le monde, selon Luminate, une production sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Dans ce contexte, qu’un tube d’été unanime échappe aux radars n’a rien d’étonnant. Ce qui arrive en tête des charts peut très bien passer inaperçu du grand public.

Cette fragmentation dépasse largement la musique, et touche tous les pans de la sphère numérique. Hier, quelques chaînes TV fédéraient les audiences. Aujourd’hui, Netflix et YouTube offrent un choix illimité. Même phénomène pour l’info : les sources se multiplient. Cette profusion génère une fatigue du choix, qui pousse à se réfugier dans des habitudes.

Paradoxes du marché

Malgré la fragmentation, le streaming américain croît sans discontinuer depuis 2016. Cette expansion a profité aux géants du secteur : ainsi, Universal Music Group, Warner Music Group et Spotify sont tous entrés en Bourse durant cette période. La prévisibilité des revenus streaming explique aussi l’engouement des fonds d’investissement pour les catalogues musicaux.

Wall Street considère ces actifs comme des placements sûrs, contrairement aux nouveaux talents, investissement notoirement risqué. Mais l’industrie fait face à un dilemme : la plupart des Américains possèdent déjà un abonnement streaming. La croissance s’essouffle mécaniquement.

Croissance en berne

Selon la Recording Industry Association of America (RIAA), la croissance des revenus du streaming par abonnement aux États-Unis a plongé l’année dernière, passant de 10,6% en 2023 à 5,3% en 2024. Celle des abonnés a similairement chuté de 5,7% à 3,3%, et les autres marchés comparables, comme le Royaume-Uni, connaissent un ralentissement. Les grands groupes de l’industrie musicale lorgnent désormais vers les marchés émergents pour rassurer leurs investisseurs.

Reste à savoir si ces nouveaux territoires généreront suffisamment de revenus. Les prix d’abonnement y sont toujours très inférieurs à ceux pratiqués aux États-Unis. Les royalties versées aux artistes suivent cette logique. Les coûts marketing pour conquérir ces marchés restent élevés, tandis que retour sur investissement n’est pas garanti.

Simultanément, tandis que les 10 plus gros hits streaming perdent des parts de marché, les chansons les mieux classées Billboard Hot 100 (qui combine ventes, streaming et passages radio) résistent mieux que jamais. Ainsi un titre comme Lose Control de Teddy Swims illustre parfaitement cette tendance, ave 109 semaines de présence au classement, un record historique. Ces morceaux s’éternisent donc au dans le classement, tout en captant une part décroissante des écoutes.

Mutations profondes

Vers quelle direction s’oriente l’industrie ? Le mainstream devrait continuer de s’effriter. Certes, quelques tubes atteindront encore l’universalité, mais globalement, ces derniers vont capturer toujours moins de parts de marché, et se feront plus rares. Les auditeurs se regroupent par affinités de niches. Seul réconfort pour les producteurs : la majorité attend encore des recommandations musicales. La radio tend également à perdre son influence sur la jeune génération.

Les majors contre-attaquent. Face à la fragmentation, elles adaptent leur stratégie : acquisitions de distributeurs et de spécialistes de l’artist services, multiplication des joint-ventures avec des labels indépendants. Ces manœuvres leur permettent à l’heure actuelle de surfer sur le phénomène, tout sans alourdir leurs bilans. Lucian Grainge, CEO d’Universal Music Group, mène également la charge auprès des plateformes streaming pour réformer les systèmes de royalties depuis 2023. But affiché : favoriser les « artistes professionnels » face aux niches.

L’avenir s’annonce prévisible : croissance des genres de niche, érosion de la part de marché des hits majeurs, majors jouant la carte du volume — et, logiquement, moins de consensus sur le tube de l’été. Lizzo résume : « Le problème n’est pas la qualité de la musique d’aujourd’hui. C’est l’algorithme qui dysfonctionne. » »