Olivier Nusse : « Nous ne sommes jamais tombés dans le travers d’acheter des artistes à la concurrence. »

Dans sa première interview rétrospective depuis trois ans, le PDG d’Universal Music France revient sur sa carrière, dans une industrie qui a connu les plus grands bouleversements de son histoire et qui pourrait bien n'en être qu'au démarrage d'une nouvelle transformation.
Olivier Nusse dans son bureau parisien lors d'un entretien pour Universal Music France.

Félix Deveaux pour Billboard France

Olivier Nusse nous accueille début décembre au dernier étage des bureaux d’Universal Music France, à deux pas du Panthéon. Aux murs, une enfilade de certifications célébrant certains des plus grands succès de la maison de disques, de Stromae à Kavinsky en passant par Louane, Eddy de Pretto, Angèle ou encore Bigflo & Oli… Au cours de ses 9 ans de présidence, l’ancien joueur de rugby nommé parmi les International Power Players de Billboard en 2024 aura vu le marché français de la musique renouer avec la croissance (de 426 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2015 à 968 millions en 2023 selon le Syndicat national de l’édition phongraphique), mais aussi faire face à de nouveaux enjeux : monétisation des usages de la musique sur les réseaux sociaux, augmentation massive du nombre de titres mis en ligne sur les plateformes de streaming et, désormais, intelligence artificielle.

Du Stade Français à la présidence d’Universal Music France

Votre arrivée dans le monde de la musique se fait de façon atypique : vous venez du monde du rugby, et Max Guazzini vous présente à Paul-René Albertini, PDG de Polygram France. Qu’est-ce qui vous a fait rester dans le monde de la musique plutôt que celui du rugby ?

J’ai joué très jeune au rugby, et comme j’étais à Paris, je jouais au Racing puis au Stade Français, un club repris par Max Guazzini, qui par ailleurs était aussi un des fondateurs et patron de la programmation d’NRJ. A l’époque au début des années 90, le rugby était encore un sport amateur. Je jouais à un plutôt bon niveau et la tradition dans ces clubs, que ce soit à Paris ou en province, était que les présidents essayent de trouver un job pour leur joueur. J’avais fait un parcours d’école de commerce, et je terminais mon service militaire comme officier, d’ailleurs dans une région de rugby, à Pamiers dans l’Ariège, chez les parachutistes. En revenant de là, à 23 ou 24 ans, j’ai demandé à Max de me trouver un stage. Il m’a demandé : “Est-ce que tu veux plutôt être dans les médias, ou en maison de disques ? » J’ai tout de suite sauté sur l’occasion d’entrer en maison de disques. Il avait un proche qui était à l’époque le président de Polygram France, Paul-René Albertini.

J’ai commencé comme stagiaire chez Polygram qui est devenu entre-temps Universal Music. Je suis un “home grown” comme on dit. J’ai gravi les échelons dans cette maison, dans un métier qui m’a passionné immédiatement. C’était au milieu des années 90, en 94 exactement. On était en pleine explosion de ce marché porté par la croissance du physique. C’était les grands moments de la pub télé, des ventes en hypermarché. Un marché d’impulsion, un grand marché de cadeaux. Cette période, années 90, début 2000, m’a beaucoup marqué, l’approche était différente, celle d’une communication de masse. Aujourd’hui, les choses ont totalement changé.

Chez ULM, j’ai été dans un environnement concurrentiel où tous les coups étaient permis.

J’ai commencé dans un label qui s’appelait Phonogram à l’époque, qui est rapidement devenu Mercury. C’était un des gros labels du marché français. C’était le label de Johnny Hallyday, de Florent Pagny, entre autres. J’ai grandi là. Et après avoir été chef de projet pendant deux, trois ans, j’ai été promu patron de l’international avec des artistes majeurs comme Elton John, des groupes comme Texas, Dire Straits, etc. Et au bout d’un an, on m’a proposé de reprendre la direction du label de special marketing. C’était en 1999. Il y avait encore cinq majors. Et chaque major avait son département special marketing.

Ça a été une très très bonne école pour moi. À l’époque, quand on était dans un label traditionnel, on était un peu protégé. Alors que là, chez ULM, j’ai été tout de suite dans un environnement extrêmement concurrentiel, qu’on connaît beaucoup plus aujourd’hui qu’hier, où tous les coups étaient permis. Il fallait vraiment être agressif pour aller chercher les titres, gagner les compètes et avoir des tubes. J’ai vécu des trucs assez incroyables, de Crazy Frog, en passant par Ozone, les énormes tubes de techno, dance, type Benny Benassi… Et pendant dix ans, j’ai vraiment construit ce qui a été une base pour moi, encore aujourd’hui. À la fois dans la capacité d’être hyper opportuniste, réactif et agile pour aller chercher des choses inédites et, en même temps innovant dans d’autres opportunités de business, comme les partenariats avec les marques. Et pour autant, j’ai déjà su travailler des projets à différents rythmes, des développements de carrières comme Martin Solveig, Matt Pokora, Thomas Dutronc….. J’ai ouvert la division Motown France chez ULM avec Diam’s, comme directrice artistique, qui pourtant était une artiste majeure de la concurrence. Ça aussi, c’était un peu sport. On a signé Vitaa, et aussi Ben l’Oncle Soul, qui a été un vrai succès. Alors que ce n’était pas évident sur le papier de faire fonctionner de la soul en français.

Olivier Nusse dans son bureau parisien lors d'un entretien pour Universal Music France.
Félix Deveaux pour Billboard France

Vous participez en 2008 au développement de U Think (désormais A&R Studios), l’agence intégrée d’Universal Music France. Comment ce projet a-t-il vu le jour et quel regard portez-vous sur l’importance qu’ont désormais les marques dans l’économie des labels ?

On en parle comme une évidence, mais à l’époque c’était la première fois dans le monde qu’une maison de disques, et surtout une major, créait une agence en interne pour faire des partenariats avec les marques. Ça a été un vrai exemple d’entreprenariat et ça a commencé par un travail de pédagogie auprès des labels, des managements, des artistes. On a réussi à inclure ces droits exclusifs dans les contrats chez Universal Music France. Ce sont des droits à l’image dans le cadre de partenariats avec des marques sous formes d’endorsement et d’events. On a vraiment été pionniers à l’époque sur ce segment et on reste leader aujourd’hui, car plus qu’une vraie source complémentaire de revenus, notre approche est d’optimiser notre capacité à pouvoir renforcer les storytelling et l’exposition autour des projets des artistes auprès d’audiences très ciblées.

Chef de projet à vos débuts, puis directeur de labels, et enfin en 2016 président de maison de disques. Quelles compétences et qualités spécifiques identifiez-vous pour chacun de ces rôles ?

On imagine que le patron de label doit avant tout être capable soit de signer des artistes, soit de manager des équipes, soit d’être bon en gestion. En fait, c’est tout ça mais c’est beaucoup plus que ça. Il faut, surtout quand on grandit déjà dans ces métiers, avoir la capacité de prendre vraiment de la hauteur, d’essayer d’être visionnaire et ne pas être cantonné aux tendances du moment. Ça demande des qualités qui ne sont pas toujours faciles à décrire, ou à percevoir avant de prendre le poste ou de nommer quelqu’un. Pour réussir il faut avoir des convictions, tenter des choses, prendre des paris, prendre parfois des risques. Aujourd’hui, il faut être particulièrement agile, curieux. Et puis pouvoir surprendre et ne pas tomber dans du formatage de développements de projets ou de stratégie de lancement. Il faut être suffisamment créatifs et savoir s’entourer de gens qui sont force de proposition. Il faut embarquer ses équipes, ses partenaires, créer une dynamique collective. Et là, mon passé de sportif m’a beaucoup aidé.

Universal Music France en 2025

Au cours des 24 derniers mois, la structure interne d’Universal Music France a beaucoup évolué. Comment définissez-vous le rôle de chacune des entités qui la composent aujourd’hui ?

Quand je parlais de l’importance d’innover en maison de disques, innover c’est aussi innover l’approche, dans l’organisation, devancer même les mutations du marché pour pouvoir être toujours un peu plus flexible et agile pour pouvoir se donner toujours plus de chance d’attirer les bons projets.

Pour rappel en 2009, quand j’ai pris Mercury, j’ai complètement changé la structure de ce label qu’on a fusionné avec ULM. Dans ce gros label, j’ai initié des petites cellules créatives de 3-4 personnes maximum, à chaque fois animées par un directeur artistique sous leur propre marque comme Island France ou Fontana. Chacune travaillait comme un petit indépendant à l’incubation et la maturation de peu de projets, avec sa propre ligne éditoriale. Et dès qu’on sentait un certain niveau d’émergence dans une cellule créative, on actionne les leviers puissants du label de manière collective pour les amener plus loin.

Ça été une réussite et dès la première année, Mercury est devenu premier label du marché français, capable de signer ce que les labels un peu “cool” arrivaient à signer à l’époque, c’est-à-dire C2C, Kavinsky, Stromae, et en même temps des projets crossovers et populaires comme Louane, Kendji ou des albums-concept avec Nolwenn Leroy, qui dépassent chacun le million d’exemplaires. Mais surtout une multitude de projets à différents rythmes.

Donc quand on m’a proposé ce poste à la tête d’Universal Music France, j’ai poursuivi cette stratégie. j’ai réfléchi un peu de la même manière. J’ai commencé par créer un label qui n’existait pas, qui s’appelait Initial à l’époque et qui a été renommé Romance. Il fallait que je puisse avoir des points d’entrée un peu plus agiles, des centres d’incubation avec des expertises pour certaines, vraiment très proches de la création, et du terrain, pour accompagner des artistes hors formats qui ont les atouts pour aller beaucoup plus loin. C’était aussi la première fois dans cette maison qu’on prenait la production live dans nos contrats. Avec une équipe impliquée dans l’ensemble du storytelling de ces projets. On a signé Clara Luciani, Eddy de Pretto, Angèle, Hervé, Columbine, et c’est devenu un vrai exemple en quelques années.

Depuis huit ans, l’optimisation de la structure de la maison a été constante.

Depuis huit ans l’optimisation de la structure de la maison a été constante. On a aujourd’hui quatre groupes de labels avec leurs cellules créatives. Virgin Records, qui développe Zaho de Sagazan ou Polo & Pan, agrège la cellule Romance avec notamment Clara Luciani, et la cellule Aura qu’on vient de lancer sur les projets à culture urbaines.

ll y a le groupe Polydor qui travaille en France tout le répertoire international. On lui a agrégé le département MCA sur un répertoire plutôt électro-dance et des concepts. Il a également la cellule Island Def Jam avec des artistes comme Louane, Kendji, Kungs et Luidji.

Il y a le groupe Capitol, gros label plutôt dédié aux musiques urbaines qui a des partenariats et JV avec des labels comme 92i d’où ont émergé Damso et SDM notamment. On a ouvert aussi Def Jam Africa une cellule créative pour le répertoire d’Afrique francophone ainsi que la cellule Millenium avec des artistes comme Niska et plus récemment La Mano 1.9.

Et enfin, il y a le quatrième groupe, Barclay. Je rappelle que c’est l’un des plus vieux labels français, on fête cette année les 70 ans de Barclay. C’est là que sont les artistes comme Étienne Daho, Bernard Lavilliers, Vanessa Paradis ou encore Eddy Mitchell… C’est un label qui recommence aussi à signer des nouveaux artistes. Dans ce groupe Barclay, il y a aussi la cellule Panthéon pour travailler notre patrimoine de back catalogue avec Johnny Hallyday, Jacques Brel, Barbara, Aznavour et bien d’autres. Aujourd’hui, les équipes et les approches sont très portées sur le digital et capables de faire revivre plein de titres comme on l’a vu cet été avec le tube mondial du rework “Yamore” de Salif Keita. On a agrégé dans ce même groupe le département Classique et Jazz sous la marque Decca, avec toutes les grandes marques prestigieuses (Deutsche Grammophon, Verve, Blue Note…). Chez Decca, on signe aussi la nouvelle génération néo-classique ou pop instrumentale avec beaucoup de succès comme Max Richter ou Tony Ann. Pour finir dans ce groupe Barclay, sous la marque Phonogram, on a ouvert une cellule créative pour signer notamment la nouvelle scène pop-crossover.

En dehors de ces 4 groupes, il demeure un label qu’on a créé, il y a deux ans sous la marque Carthage qui fait du développement d’artistes plutôt pop urbaine comme Vacra et aussi de la production live.

Olivier Nusse dans son bureau parisien lors d'un entretien pour Universal Music France.
Félix Deveaux pour Billboard France

La concurrence en France entre les labels s’est accrue, avec des avances qui explosent pour les top artistes. Comment se positionner face à des sommes qui perdent parfois toute rationalité économique ?

Malgré cette surenchère parfois stérile, notre stratégie et notre organisation chez UMF ont fait preuve d’une efficacité incomparable sur le marché depuis 8 ans, car dans un marché en constante évolution, nous avons été les champions du développement de nouveaux talents et je parle ici de vrai succès avec des artistes qui ont tous démarré chez nous. Nous ne sommes jamais tombés dans le mauvais travers “d’acheter” des artistes ayant déjà eu du succès à la concurrence.

Quand je commence chez Mercury, Louane commence là, Kendji commence là, Stromae commence là et Kavinsky commence là. C’est comme ça que j’ai construit ma carrière et que j’anime mes équipes. Je parle d’artistes qui pour la plupart dépassent 500 000 équivalent albums ou même plus du million : Nekfeu a démarré ici, Damso, Kungs, Angèle, Clara Luciani, Juliette Armanet, Polo & Pan, SCH, Bigflo & Oli, Dadju, Eddy de Pretto ou encore SDM ont démarré ici. Et aujourd’hui, on voit ce qui se passe sur Zaho de Sagazan, La Mano 1.9 ou Théodora,
Je pense que la surenchère qu’il y a depuis quelques années sur ce marché n’est pas bonne pour les artistes d’abord et que l’on y perd le besoin d’exigence, la priorité d’aller plus loin dans l’approche artistique et dans la qualité et l’authenticité des projets.

En 2021, Stromae re signe chez Universal et y sort quelques mois plus tard son 3ème album. Quels sont les secrets pour conserver une superstar internationale plus d’une décennie dans sa maison ?

Avec Paul c’est très particulier, j’ai vécu une des plus belles histoires qu’on puisse vivre dans ces métiers, quand on a la chance de pouvoir rencontrer et accompagner un artiste aussi singulier. Parfois, et en France en particulier, on a tendance à vouloir classer la musique en genres, mais c’est quoi le genre de Stromae ? C’est ça qui est fascinant et qui me sert dans des discussions avec d’autres artistes, pour leur montrer qu’il faut savoir dépasser les formats, être authentique. C’est un cas d’école incroyable, Stromae est capable de mélanger de l’eurodance avec de la chanson française, des rythmes sud-américains ou de la rumba congolaise. Aujourd’hui, “Racine Carrée” c’est plus de 4,5 millions d’albums vendus dans le monde, il n’y a pas d’équivalents en France. Certains artistes sortent deux ou trois albums par an, là on parle de la capacité de faire des choses qui vont rester comme des classiques, qui sont quasi impossibles à copier.

Quand on a eu des échanges aussi forts avec des artistes, quand on les a accompagnés dans le monde entier, on crée des liens forts. Pour autant, après 10 ans, il aurait pu avoir envie de vivre d’autres choses. On a fait un travail extrêmement approfondi pour l’accompagner sur ce nouveau projet. Quand on a discuté de la resignature de Paul, on était en pleine résurgence de “Alors on danse” sur TikTok avec la mode du slowed & reverb. On a eu accès à des données, des outils et nos data analysts ont fait un travail absolument remarquable sur l’’évolution de ses bases d’audiences, de ses superfans et de la consommation de son catalogue en France et dans le monde. On a fait des cahiers de tendances avec notre agence interne A&R Studios. Il y avait aussi beaucoup d’attentes sur l’export, et l’organisation transversale mondiale d’Universal Music Group est d’une efficacité incomparable.

Olivier Nusse dans son bureau parisien lors d'un entretien pour Universal Music France.
Félix Deveaux pour Billboard France

En 2025, on observe à la fois une facilité d’accès à l’international qui n’existait pas à l’époque du physique, un effacement de la dominance absolue des productions anglo-saxonnes, mais aussi des productions locales de plus en plus fortes dans beaucoup de marchés et une saturation globale de sorties avec plus de 120.000 titres mis en ligne chaque jour. Quelles stratégies mettez-vous en place à Universal Music France pour faire rayonner les artistes français à l’étranger ?

Aujourd’hui, les études nous montrent que paradoxalement, alors que tout est accessible tout le temps, la consommation marché par marché se fait beaucoup plus sur le répertoire local qu’international. Et dans le même temps, on observe la possibilité d’aller faire rayonner des titres ou des répertoires dans des langues qui ne sont pas facilement exportables à première vue. C’est ce qu’on vient de vivre avec la synchronisation du titre “Ma meilleure ennemie” de Stromae et Pomme dans la série ”Arcane”. Si c’est bien amené, si l’histoire qui l’accompagne et l’environnement sont forts, un titre peut fonctionner à l’international, d’où qu’il vienne. J’ai eu des expériences assez spectaculaires à l’export avec Stromae, mais aussi avec C2C ou Kavinsky. Cet été encore, on a vécu un moment fou avec la cérémonie de clôture des J.O. On a battu le record mondial de Shazam en une minute et en 24 heures, sur ce titre “Nightcall”, qui pourtant, avait 15 ans, interprété ce soir là par Angèle.

Maintenant, il faut choisir ses champions et ses championnes à l’export et vraiment mettre les moyens pour y arriver. On a aujourd’hui des outils pour analyser les bassins de communautés qui pourraient être à même d’être les premiers séduits par certains types de musiques partout dans le monde. Après, il faut pousser ces répertoires. Il faut aussi que les artistes aient envie d’aller défendre le projet dans les autres marchés et notamment aux Etats-Unis. Parfois, on a tendance à penser qu’il suffit de faire, sans même se déplacer, un featuring avec un artiste latin ou anglo-saxon et que ça va faire le job. Mais ça ne peut pas être que ça !

N’y aurait-il pas une forme de paradoxe, justement, entre les démarrages record au niveau global de certains titres francophones et, dans le même temps, un marché français où les démarrages ont tendance à être plus bas qu’il y a quelques années ?

J’espère qu’on aura encore des phénomènes qui dépassent le marché. Le dernier phénomène du marché français, c’est-à-dire un début de carrière qui dépasse largement le million d’exemplaires en France, c’est Angèle en 2018 avec son 1er album. Ça n’a jamais eu lieu depuis, même si on voit régulièrement émerger de nouveaux artistes qui, notamment sur le live, remplissent des salles énormes avec à peine un disque d’or.

L’authenticité, c’est la clef de la réussite pour les années à venir. En choisissant les projets, les répertoires, les productions, les textes et évidemment les artistes qui savent vraiment les incarner, on aura des nouveaux phénomènes.

Sur les titres, il y a encore des phénomènes. Notamment, l’un des derniers qu’on ait eu ici en single c’est Jungeli avec Petit Génie, qui s’est maintenu au haut du Top sur un temps record. Mais pour ce genre de performances, il faut avoir des titres extrêmement atypiques et, pour les exemples qui marchent aussi à l’international, ils peuvent être portés par un environnement ou un événement très spectaculaire comme une synchro.

Olivier Nusse dans son bureau parisien lors d'un entretien pour Universal Music France.
Félix Deveaux pour Billboard France

Le futur de la musique enregistrée selon Olivier Nusse

Le succès global de “Ma meilleure ennemie”, single de Stromae et Pomme produit par le studio de jeux vidéo Riot Games et propulsé par le succès de la série “Arcane” sur Netflix, présage-t-il une multiplication des collaborations entre industries créatives ?

Ca a toujours été le cas. Des synchros, dans des séries, dans des films, ça fait des décennies que ça existe, des moments forts en médias, aussi. Alors, peut-être que ce ne sont plus les mêmes médias ou les mêmes rendez-vous, mais à l’époque, quand Stromae faisait une prestation extrêmement singulière de “Formidable” un vendredi soir à minuit sur “Ce soir où jamais”, ça explosait parce que c’était singulier. Ou alors, avec le même artiste, quand on allait faire une prestation dans une grande émission comme les NRJ Music Awards en réfléchissant à une arrivée spectaculaire, différente et très en lien avec l’ADN du projet, ça avait de l’impact. Et évidemment des synchros qui ont eu beaucoup d’impact il y en a eu comme avec Kate Bush dans “Stranger Things”. ou plus récemment et localement avec The Cure et leur titre “A forest” dans “l’amour ouf”.

Quand Angèle arrive sur scène au Stade de France alors que le podium a été envahi par des sportifs assez costauds, elle arrive en marchant tout doucement et fait cet espèce de pas de danse sur le titre “Nightcall” qui, pourtant, a déjà 15 ans et que la grande majorité des gens connaissent. Et là, ça crée un espèce de déclic. Que ce soit sur une nouveauté ou un titre de catalogue réincarné, c’est vraiment la capacité à toucher un public affinitaire qui permet d’aller plus loin. C’est là qu’une maison comme la nôtre peut être force de proposition de relais puissants d’exposition dans l’audiovisuel ou dans les jeux.

L’industrie mise désormais sur un nouveau levier, les superfans. Dans un contexte de baisse du pouvoir d’achat, ce levier s’il est trop sollicité ne risque-t-il pas d’épuiser la capacité des fans à soutenir leurs artistes ?

C’est une bonne question, quand on parle de superfans on a l’impression qu’on va vendre toujours les mêmes produits, à des prix super élevés… Alors que le travail sur les superfans, c’est aussi les expériences. C’est là où on doit sortir de la lecture de certains acteurs indépendants qui disent “je suis le champion du D2C, pour vendre des bundles et faire un plus gros score sur la semaine de sortie” parce que c’est beaucoup plus que ça.

Ce n’est pas seulement une question de niveau de succès sur la partie master. On a eu des exemples absolument dingues ici, par exemple chez Initial quand on a démarré avec Columbine. C’est un projet qui avait du succès puisqu’on a fait deux fois disque de platine, mais pas au niveau d’artistes comme Nekfeu et Damso qui vendaient 500.000 ou un million d’albums. Pour autant, l’histoire que racontait leur logo, leur marque, les contenus qu’ils faisaient, créaient une espèce d’excitation qui était absolument folle. Sur Columbine, on a eu des scores en D2C qui dépassaient largement ceux d’artistes qui vendaient parfois 10 fois plus, on vit actuellement le même phénomène sur des artistes comme Luidji.

Sur Columbine, on a eu des scores en D2C qui dépassaient largement ceux d’artistes qui vendaient parfois 10 fois plus, on vit actuellement le même phénomène sur des artistes comme Luidji.

Ici, on travaille de manière extrêmement étroite avec le département qu’on appelle “direct to fans” et qui n’est pas juste un service de merchandising : ce sont des expertises croisées entre l’agence de tendance, les analystes d’audiences, les cellules de création de produits pour faire des choses qui sont vraiment sur mesure. Il y a aussi une cellule events, et je ne parle pas seulement de showcases mais de tous les rendez-vous possibles pour faire vivre une expérience aux superfans. Et l’autre ingrédient pour que cette activité se développe est ce qu’on appelle le “always on”, c’est-à- dire que nous, chez UMF, sommes toujours actifs et cherchons à impliquer nos artistes avec une fréquence régulière d’activations et de propositions.

Il y a, pour des bases de fans très engagées, une envie de pouvoir accéder à ces produits et expériences et de payer pour. Quand c’est bien analysé, que les propositions sont adaptées, on s’aperçoit qu’il y a un pourcentage de la base d’audience qui représente une très grande part des revenus de l’artiste.

Olivier Nusse dans son bureau parisien lors d'un entretien pour Universal Music France.
Félix Deveaux pour Billboard France

Comment expliquez-vous ce changement ?

Aujourd’hui, on arrive à parler à des communautés en direct, là où on visait très large par le passé. Quand on a des équipes dédiées avec les bonnes expertises, on sait optimiser l’engagement de leurs bases de fans auprès de ces communautés, c’est le cas chez UMF.

Quels sont selon vous les plus grands défis qui attendent l’industrie musicale française dans les 5 prochaines années ?

Pour la France en particulier, on a un marché qui est porté par le streaming et qui est en croissance depuis quelques années. On doit être à 13 millions d’utilisateurs payants en France et, si on compte les comptes famille et le gratuit, on est à peu près à 20 millions de personnes qui consomment la musique en streaming — mais nous ne sommes, à environ, qu’à un français sur cinq abonnés à un service de streaming quand aux Etats Unis ils sont, à environ, à un sur deux.

L’autre défi, c’est le développement du streaming 2.0 sur le modèle de l’”Artist Centric”. Universal Music France a été comme très souvent, à l’initiative, avec les plateformes pour faire évoluer cet usage de consommation de la musique et par là, lutter contre la dilution des catalogues.
On estime qu’il y a plus de 200 millions de titres actuellement sur les DSP et plus de 100.000 nouvelles sorties arrivent chaque jour avec une grande partie de titres qui ne sont pas vraiment de la musique ou qui diluent les titres originaux incarnés par de vrais artistes .

Le gros de la consommation mondiale, près de 95%, se fait sur environ 400.000 titres uniquement. et dans le même temps, 85 millions de titres ne sont jamais écoutés nulle part dans le monde. Cette dilution détériore l’expérience utilisateur. L’“Artist Centric”, a la volonté de faire en sorte que les catalogues consommés de manière active soient mieux rémunérés et que les plateformes fassent l’effort de nettoyer leur tail.

Un autre enjeu réside dans l’idée que certaines plateformes enrichissent leurs offres avec ce qu’on appelle le “superpremium”. Les études montrent à nouveau qu’une bonne partie des consommateurs sont prêts à payer plus cher pour avoir une expérience enrichie. Ça passe par une amélioration de la qualité sonore. 87% des gens qui ont fait cette expérience écoutent plus de fois une musique en “superpremium” et 94% affirment que le son spatial représente mieux la performance originale de l’artiste. Il y aura aussi dans ces offres des outils spécifiques pour mieux éditorialiser les playlists et même paramétrer l’algorithme.

Qu’est-ce que Billboard signifie pour vous ?

Au début de ma carrière et quand j’étais en charge de l’international chez Mercury avec essentiellement du répertoire anglo-américain, Billboard c’était la bible. C’était le référent sur lequel il y avait les classements, les interviews des artistes mais aussi des gens du métier. On avait vraiment le reflet de la vie de l’industrie mondialement, on ne pouvait pas ne pas ne pas lire Billboard, c’était incontournable. C’est d’ailleurs assez fantastique de voir que ce classement fait toujours référence dans une industrie qui est passée des galettes microsillon au streaming et au monde virtuel.

Propos recueillis par Nicolas Baudoin et Ulysse Hennessy