La nouvelle décennie de Damso

PJ Lam pour Billboard France
Manteau Yenesai, bracelet mis en collier David Yurman, lunettes de soleil Prada.
3 ans, 4 mois et 7 jours : c’est le temps qui s’est écoulé entre la première mention du 30 mai 2025 par Damso et la parution de BĒYĀH aujourd’hui.
1 223 jours d’attente, un lancement sur une année complète… La sortie de ce que le rappeur annonce être son dernier album se fait sur un temps qui semble anormalement long à l’ère de l’instantanéité.
Avec ce cinquième album studio, Damso entame la deuxième décennie d’une carrière solo débutée en 2014 avec l’EP Salle d’attente.
“Dix ans passent très vite. C’est le temps d’avoir les 10 000 heures de travail et d’erreurs qui permettent d’atteindre l’excellence”, commente-t-il. “C’est ma dynamique de vie, peut-être même de survie. Je n’y vois même pas une carrière.”
En 2016, Damso dévoile Batterie faible. Première mixtape aux allures d’album, le rappeur impose un style en France. D’abord critique, le succès devient commercial, avec une remarquable longévité. Alors qu’elle s’écoulait à 4 677 exemplaires lors de sa sortie, Batterie faible est désormais certifiée triple disque de platine par le Syndicat national de l’édition phonographique fin 2023, avec plus de 300 000 ventes. En 2017, il sort son premier album studio, Ipséité. Porté par les hits Θ. Macarena, Ε. Signaler, Δ. Dieu ne ment jamais ou encore Γ. Mosaïque solitaire, celui-ci deviendra l’une des meilleures ventes de l’histoire du rap français. Début 2024, il passe le cap du million de ventes en France, décrochant ainsi une certification rare : double diamant.
Au total, la discographie de Damso compte plus de 3 millions de ventes dans le monde et 5,3 milliards de streams Spotify.
Pourtant, il aborde l’interview comme détaché de ces chiffres : “Ce qui m’intéresse, ce n’est pas tant que mes projets se vendent, c’est que mon nom grandisse. À partir du moment où on sait que tu es un artiste qui s’écoute d’abord et fait réellement ce qu’il veut… Tu crées une curiosité qui m’intéresse beaucoup plus que de niquer le game, car niquer le game comme avant ne serait pas possible sans m’enfermer.”

Veste JW Anderson, pantalon Jacquemus, chaussures Jacques Solovière, lunettes Etro, collier mis en bracelet (main droite) Justine Clenquet, collier et bracelet (main gauche) David Yurman, bague By Karole.
L’indépendance comme ligne de conduite
En 2018, Damso sort Lithopédion. Nouveau grand succès commercial et critique avec 61 382 ventes en première semaine et une nouvelle certification diamant à la clé. Cet album présente également une particularité : c’est son dernier en contrat d’artiste. La suite s’écrira sur son propre label, Trente-quatre centimes, un nom inspiré du solde de son compte en banque à ses débuts.
“Il a fallu que je comprenne ce que voulait dire ‘indépendant’. Ça a pris du temps, je me suis même un peu foiré au début. Par exemple, les rentrées d’argent : avances, SACEM… Parfois, il vaut mieux les étaler dans le temps. Ça, je ne le savais pas. J’ai dû apprendre ce qu’étaient les comptes à terme et les straight loans (ndlr. les straight loans sont des « autorisations » de crédit, permettant d’obtenir de la trésorerie à court terme). Autour de moi, il n’y avait pas vraiment de gens qui avaient déjà été dans cette situation, donc il a fallu que je me documente”, se remémore t-il.
J’ai commencé à comprendre qu’un artiste, c’est aussi une société d’image.
Il lui faudra deux ans pour sortir son troisième album studio et premier projet autoproduit, QALF. Plus que tout, le rappeur valorise dans sa nouvelle position un contrôle créatif plus poussé que jamais auparavant.
“Ce que je trouvais intéressant dans ce contrat-là, parce que c’est un contrat de distribution au final, c’était la facilité avec laquelle je pouvais faire ce que j’avais en tête. Si j’avais la vision d’un clip, j’étais beaucoup plus libre de l’exécuter. J’ai commencé à comprendre qu’un artiste, c’est aussi une société d’image. Même si je n’aimais que la musique, je me suis rendu compte que c’est l’image qui reste et qui propulse l’art.”
Un dernier album ?
En janvier 2022, Damso affiche la date du 30 mai 2025 en photo de profil sur l’ensemble de ses réseaux sociaux. En octobre 2023, les fans de l’artiste découvrent, gravé sur les vinyles de l’édition live de QALF, un message : “BĒYĀH sera mon prochain album”. Finalement, le 30 mai 2024, un an jour pour jour avant sa sortie, Damso lance la précommande de BĒYĀH. Une stratégie à contre-courant des pratiques de l’industrie, souvent axées autour de prises de paroles successives sur de courts laps de temps.
Au-delà de ce lancement inhabituel, BĒYĀH est annoncé comme le dernier album du rappeur. “C’est toujours le cas”, confirme-t-il. “J’ai changé de rapport au format album, j’ai l’impression qu’il me parle moins qu’avant.”
À partir du moment où je peux entendre des snares, des hi-hats, des mouvements de basse, je comprends ce qui se passe.
Entre temps, Damso dévoile en août VIEUX SONS, une compilation de onze de ses premiers titres solos dont COSMOS, un inédit enregistré à 16 ans. En novembre, il dévoile l’EP J’AI MENTI. Celui-ci sera certifié disque d’or en moins d’un mois, porté notamment par le tube Alpha.
Sur BĒYĀH, Damso place sa vision créative au centre. Cependant, “il faut toujours que tu saches quand même être au top”, explique-t-il. “Si tu n’as plus ce nectar-là, c’est différent. C’est pour ça que je vérifie toujours, par exemple sur Alpha ou Triple V de Werenoi — qu’il repose en paix. Alpha est une improvisation. C’est un hit tellement facile qu’à un moment donné, j’ai failli ne pas le sortir. Quand j’ai été bosser avec Kalash, que j’ai rencontré par hasard en studio, je lui ai proposé d’enlever un couplet et de poser dessus. Il écoute le titre et me dit ‘Comment tu as fait ? Tu connaissais les codes du shatta, et même du shatta originel ?’ À partir du moment où je peux entendre des snares, des hi-hats, des mouvements de basse, je comprends ce qui se passe.”

Manteau Yenesai, bracelet mis en collier David Yurman, lunettes de soleil Prada.
La vision de Damso
Au-delà de sa propre musique, Damso met sa plume et sa vision au service d’autres artistes. Dès 2018, il écrit le titre Maria Maria de Kendji Girac, premier extrait de l’album Amigo qui se classera en tête des ventes à sa sortie. Deux ans plus tard, il collabore avec Louane sur Donne-moi ton cœur.
En 2024, il pousse plus loin son implication en assurant la direction artistique de l’album Page blanche d’Eva, incluant le hit platine Bottega. Premier pas vers la création d’un label dédié à la production d’artistes ? “Plutôt une sorte d’agence”, confie l’artiste. “Mais il faudrait trouver les bonnes personnes et le bon modèle. C’est particulier comme activité car les produits sont aussi des êtres humains. Tu peux détruire des vies. Certains artistes l’ont vécu, ont été exploités, essorés puis jetés comme des merdes.”
Dans l’artistique, au sens large, j’ai envie de toucher à tout.
“Quand un artiste produit un autre artiste, il faut qu’il ait une disponibilité émotionnelle. Quand ce n’est pas le cas, ça finit souvent mal. Pourtant, les deux ont souvent une part de responsabilité. Quand j’ai commencé à travailler sur la direction artistique d’Eva, je lui ai dit ‘Ça va prendre du temps, il faut ma disponibilité émotionnelle, mais aussi la tienne’.
Pour accompagner la sortie de BĒYĀH, Damso produit son premier film, R.E.M. Le 20 mai, il est diffusé gratuitement dans des salles Mk2 en France, en Belgique, en Afrique et au Canada. Le rappeur fait également une apparition remarquée au festival de Cannes, où il organise une soirée autour de R.E.M.
“Dans l’artistique, au sens large, j’ai envie de toucher à tout”, confie-t-il. “Il y a la musique et le cinéma, la littérature, les senteurs, les spiritueux, le design…Tout m’intéresse. Entrer dans la vie des gens, dans leur salon : une chaise, une bougie, une lampe. C’est tout un univers.”

Manteau LGN Louis Gabriel Nouchi, chemise Bourrienne Paris, maille Fendi, pantalon Rick Owens, chaussures Maison Christian Louboutin, bague et bracelet (main droite) David Yurman, bracelet (main gauche) By Karole, Lunettes Gentle Monster, Collier Darius Betschart.
Cycles et changements
Au travers de la communication de BĒYĀH, Damso affirme sa volonté d’épouser le temps long. “Une carrière se joue toujours sur les générations qui viennent après”, commente-t-il.
“Aujourd’hui, les gens écoutent la musique tellement différemment d’avant que je ne sais plus si on doit encore parler de tendances. Si un courant ne dure qu’un mois, ou six mois, peut-on vraiment parler de tendance ?”
Pour lui, tout fonctionne par cycle. Chaque genre naît d’un moment de bouillonnement artistique qu’il cherche à rapprocher, avant de devenir populaire et de répondre aux attentes d’un public plus large. “Quand un genre musical n’est pas encore populaire, les attentes sont différentes. Elles sont davantage basées sur l’artistique.”
Quand un genre musical n’est pas encore populaire, les attentes sont différentes. Elles sont davantage basées sur l’artistique.
Vers quoi tend la suite ? Pas nécessairement vers la création de nouveaux genres, selon lui, mais plutôt vers “de nouvelles manières de s’ambiancer sur des choses qu’on connaissait avant et qui ont été oubliées”.
Un autre phénomène l’intrigue : la dilution de l’idée même de “star”. “On parle de la même manière de plein d’artistes, aucun ne sort vraiment du lot. Et puis, je pense que le public veut aussi être une star aujourd’hui. Les gens attendent que leurs artistes fassent ce qu’ils veulent. De moins en moins d’artistes se sentent libres, parce qu’ils ont peur de suivre leur propre direction et de se faire critiquer.”
Un phénomène irréversible ? “Je ne pense pas”, répond-t-il. “Mais il faut regarder son âge. Si ça dure 20 ans, tu auras 50 ans à ce moment-là. En quelque sorte, c’est irréversible pour toi.”

Manteau Yenesai, bracelet mis en collier David Yurman, lunettes de soleil Prada.
Racines africaines
« Tellement de cadavres desséchés, j’n’oublierai jamais la RDC », écrit Damso dans JCVDEMS. En 2020, il célèbre la sortie de QALF à Kinshasa, sa ville natale, à laquelle il avait déjà dédié un morceau, Κ. Kin la belle, sur Ipséité. “Je m’inspirerais toujours de l’Afrique, parce que je suis né là-bas, ça fait partie de ce que je suis. C’est dans ma façon de penser, d’entendre la musique, dans les percussions, la manière dont ça rebondit…”
Entreprendre sans s’exposer
Cet engagement passe aussi par l’investissement. Depuis plusieurs années, Damso a planté des racines économiques en Afrique. Immobilier, spiritueux… Il diversifie les secteurs et assume les risques : “Je commence dans l’immobilier, mais surtout pour avoir des garanties, faire des effets de levier et pouvoir réinvestir. Je travaille aussi sur du gin et d’autres spiritueux. Je n’ai pas peur du risque, parce que j’ai toujours une vision à long terme. Si j’y crois, je mets de l’argent.”
Là encore, il distingue clairement ses projets artistiques de ses investissements. Tous n’ont pas vocation à être associés à son nom. “C’est une erreur que beaucoup font. Ton nom ne peut pas tout le temps servir. Il faut qu’il y ait une histoire. Si je fais du design, un livre, une marque d’alcool ou du cinéma, mon nom me sert. Mais si je lance une société dans l’agroalimentaire, ce n’est pas forcément le cas. La moindre polémique autour de mon image pourrait lui nuire. Sur la durée, ce n’est pas intéressant.”
L’artiste poursuit donc son chemin, à la croisée de l’art, de l’impact et de l’indépendance. Une trajectoire moins bruyante que celle d’autres icônes du rap, mais résolument pensée pour durer.
Propos recueillis par Nicolas Baudoin pour Billboard France. Article par Nicolas Baudoin et Oumeyma Aouzal.
Production : Rooom Studio
Photographe : PJ Lam, assistée par Hugo van Manen
Producteur exécutif : Selim Rochette Moreau
Styliste : Samantha Gil, assistée par Romane Cisowski
Chef de projet : Youssef El Moumni
Graphiste : Pauline Ghidini, Maxence Micaelli
Make-up artist : Joséphine Richard
Remerciements : Amaury Feron, Nicolas Hoyet (I’m PR)
