Feu! Chatterton : « On a compris avec le temps que l’indépendance était une des clés pour être parfaitement libre. »

Alors qu'il vient d'annoncer la sortie de son quatrième album « Labyrinthe » le 12 septembre prochain, le groupe se livre sur la création de ce nouveau projet et sur les moments décisifs de ce nouveau disque.

Feu! Chatterton à l'Hôtel Amour

Illustration : Félix Devaux pour Billboard France

4 ans après le succès de son dernier album Palais d’argile, certifié disque de platine, le groupe dévoile les contours de leur futur 4ème album, Labyrinthe. Pour Billboard France, Arthur Teboul, Sébastien Wolf et Antoine Wilson se confient également sur la tournée à venir, qui passera par l’Accor Arena le 11 février prochain, le lancement de leur label, la nouvelle scène musicale francophone et enfin leurs récentes collaborations sur les albums d’autres.

Bien qu’ancrés dans l’industrie musicale, leurs collaborations avec d’autres secteurs comme la littérature, le cinéma, le spectacle vivant ou les musées sont autant d’expériences artistiques qui nourrissent leur parcours. 

Vous êtes amis de longue date. Arthur et Sébastien, vous vous êtes rencontrés au lycée Louis Legrand avec Clément. Et ensuite Antoine vous les avez rejoints avec Raphaël par la suite. Est-ce qu’on peut dire que Feu! Chatterton est né à cette époque? 

Sébastien Wolf : On s’est rencontrés en première et le groupe a vraiment commencé 6 ans après en 2010-2011. Mais au lycée, avec Clément on faisait de la musique et on avait un groupe de rock. Arthur quant à lui écrivait déjà des textes mais ne chantait pas. Il aurait aimé faire de la musique avec nous donc après le lycée, on a commencé à créer ensemble à partir des textes d’Arthur. Feu! Chatterton a commencé comme ça. 

Vous avez tous fait de longues études ce qui est assez rare dans un milieu où les artistes commencent des carrières très jeunes. Aviez-vous déjà le rêve de faire de la musique votre métier? 

Arthur Teboul : On pensait surtout à ce qui nous amusait et nous faisait plaisir. Nous retrouver et tenter des choses ensemble nous faisait vibrer. Moi, je ne savais pas jouer d’un instrument. On s’est rappelé qu’une fois pour que je vienne en répète, j’ai dit que j’avais un djembé chez moi, je suis venu et j’ai fait du djembé. On avait un  copain qui avait un sous-sol dans une épicerie et l’après-midi, plutôt que de faire du sport ou du foot, je jouais du djembé, Sébastien jouait de la guitare et on kiffait. 

Sébastien Wolf : Je pense que les gens montent des groupes de musique pour passer du temps ensemble plus que pour faire de la musique, et après l’expérience se transforme en quelque chose de cool. On a passé beaucoup d’années à faire de la musique juste en trainant entre potes. On a eu de la chance parce qu’on ne s’est jamais dit que ça allait marcher au point de nous faire jouer à Bercy. C’est un truc de fou. 

Justement, vous avez annoncé un Bercy le 11 février 2026. L’annonce ainsi qu’une session live de votre chanson Allons Voir ont été faites sur le toit de l’Accor Arena. Est-ce que c’est un clin d’œil à des groupes comme les Beatles ou U2 ? 

Arthur Teboul : Ouais, bien sûr. On voulait faire un double clin d’œil: aux Beatles et à la chanson “Bercy” de Maes. À la fin du clip de Maes en noir et blanc, il y a un gros drone qui dézoom sur le Bercy que tu vois de loin.  Nous, vu nos délais, on n’a pas pu tourner de plan avec un drone. Après 15 ans d’exercice et le 4ème album  arrivant, c’est quand même toujours très à l’arrache avec nous donc on a juste fait un dézoom mais c’était le délire. 

On voulait aussi faire quelque chose de simple. On a un rapport très très proche avec notre public. Ça fait dix ans qu’on sillonne toutes les salles de France, on a commencé par les plus petits bars de toutes les villes, avec un van à cinq et notre ingé son en plus qui était aussi le chauffeur. Ça nous tient à cœur que même en grossissant, le public ne se dise pas qu’on  a  pété une durite ou qu’on se prend pour U2. 

L’idée était de commencer cette vidéo sur cinq copains qui continuent à jouer leur musique, sur un toit, sans que personne sache vraiment ce qu’on fait alors qu’en réalité, c’est le toit de Bercy. Symboliquement, c’est très cool. On est sur le toit de Bercy mais on reste les mêmes. 

Votre dernier concert était en janvier 2023. Ça fait presque deux ans et demi. Vous allez entamer une tournée des festivals en commençant le 29 juin 2025 par Europavox Festival 2025 à Clermont Ferrand. Vous avez aussi annoncé une tournée des Zénith. 

N’y a t-il pas un petit blues quand on ne tourne pas, en tant que musicien, pendant une longue période? 

Sébastien Wolf : Quand tu t’habitues à jouer tous les soirs, le public te donne énormément de force et d’énergie. Il y a une adrénaline. Puis la tournée ne se limite pas aux concerts,  c’est aussi un mode de vie. Quand d’un coup, du jour au lendemain, ça s’arrête, il y a une dépression, c’est sûr. Tu rentres forcément dans une phase un peu dépressive. 

Et en même temps, on avait fait 135 dates sur l’album précédent donc on arrivait aussi à un moment où on avait besoin de s’arrêter. Mais le mois qui suit la tournée, tu te demandes ce qu’il se passe après et tu sautes dans le vide. Comme tous les musiciens et musiciennes, on est vraiment dans un schéma où tu es dans l’adrénaline de la tournée en concert tous les soirs pendant deux ans et deux ans où t’es enfermé dans ta cave. Il faut savoir passer de l’un à l’autre. 

Arthur Teboul : On a deux modes de vie et deux rythmes de vie qui s’enchaînent alternativement tout le long de notre vie de musicien. Et les deux modes de vie sont tellement opposés que t’as des phases de décompression et de réadaptation. En plus, on a des vies de famille aussi maintenant, donc il faut être capable d’encaisser ces switch sans le faire subir dans nos familles.

Et vous vous occupez comment en tournée ? 

Arthur Teboul : En tournée, le rythme est hyper intense et hyper speed. Pour avoir une ou deux heures à toi dans la journée, c’est très compliqué parce que dès que t’arrives dans une ville, il y a les balances quasiment tout de suite. Après, tu déjeunes, réunion de groupe. Tu as peut-être une heure de break et après, il faut déjà se préparer pour le show, faire ses échauffements. Et la journée passe chaque jour comme ça jusqu’au concert.  Ça t’occupe tout ton esprit quasiment. 

Antoine Wilson : On travaille, on fait des musiques de film en même temps mais c’est vrai qu’on est assez admiratifs des groupes qui arrivent à composer des albums en étant en même temps au tournée comme ça c’est beaucoup fait avec les groupes de rock. Ça demande une discipline spéciale. Ce sont toujours des journées de rush. La pression redescend un peu une fois le concert fini. 

Sébastien Wolf : On fait la fête aussi après le concert. 

Félix Devaux pour Billboard France

Vous revenez avec votre nouvel album plus de 4 ans après Palais d’Argile et vous évoquez sur Instagram “la nécessité de montrer la suite de Palais d’Argile” et en même temps vous parlez d’un “nouveau chapitre”. Le projet est-il en continuité ou en rupture avec Palais d’Argile

Arthur Teboul : C’est marrant, en vrai il est un peu les deux, c’est une réponse facile, mais je crois que pendant longtemps dans le processus de l’album, on a imaginé qu’il était vraiment en rupture mais plus il s’est dessiné, plus on s’est dit qu’il était la continuité de Palais d’Argile. 

Sur les thématiques il est en continuité dans le sens où le monde, qui n’a pas tant changé en bien entre le dernier album et maintenant, continue de nous habiter. On continue de poser les mêmes types de questions sur la société, sur l’état du monde, sur les rapports humains et sur les sentiments. 

Mais dans la forme, on a essayé de nous surprendre et de nous déstabiliser pour ne pas avoir les mêmes réflexes et recettes qu’on maîtrise déjà. C’est important quand on crée de rester toujours un peu incertains et fragiles afin de garder de la vérité et de la sincérité. On a voulu aller dans cet endroit qu’on ne connaissait pas encore et ça a beaucoup joué sur la manière de faire les morceaux, de les produire et sur l’esthétique du disque. 

On a poussé certains morceaux dans une direction électro, proche des années 90.

Arthur, tu parles de l’état du monde actuellement et vous évoquez en interview  “la violence du monde et la force de l’espoir face à cette violence”. On ressent dans le titre “Allons Voir” qu’il y a un souffle de joie, de spontanéité, de vie.  Si vous dressiez une critique “du monde nouveau” dans votre ancien album, il y avait déjà la volonté d’appréhender la période avec de l’espoir. Est-ce aussi ce que vous avez voulu faire dans ce nouvel album ? 

Sébastien Wolf : Pas dans tout l’album mais “Allons Voir” a vraiment cet élan-là.  Comme dans notre album précédent, je pense que le rôle des artistes est  évidemment d’être critique. La critique peut être noire et mélancolique, ce qui est souvent le cas avec nous car on est globalement assez dépressifs dans notre musique. 

Mais les artistes réunissent les gens et essayent de proposer un chemin, ou du moins de mettre les personnes dans une situation où elles pourraient trouver une forme d’espoir. 

On a beaucoup discuté entre nous parce qu’on aurait pu sortir une chanson beaucoup plus deep, beaucoup plus dark; il y en a plein dans l’album. Mais on a décidé de sortir la chanson qui nous a aussi lancé dans le disque. C’est la première qu’on a composée pour le disque. Aussi, parce qu’on sent que dans la période actuelle, encore plus là récemment, la société est hyper violente, hyper divisée et que peut-être que notre seul rôle maintenant, c’est d’essayer de mettre les gens ensemble.

Et justement dans votre ancien album, vous évoquez les questions environnementales, migratoires, et parlez des nouvelles technologies. Sébastien tu avais dit en interview que la “musique était un art politique au sens où l’on propose une vision du monde”. Quelle est la vision du monde que vous peignez dans cet album ? 

Sébastien Wolf : Je ne sais pas si on propose une vision du monde, je pense qu’on propose des questions sur le monde. On n’est pas idéologues. Les questions viennent souvent de l’intime,  ce ne sont pas des questions générales.  Une chanson comme “Un monde nouveau”, n’était pas du tout dirigée vers les personnes en général. C’était d’abord vers nous-mêmes déjà car on ne faisait rien. C’était une manière de faire notre autocritique et dans l’album, beaucoup de questions peuvent être entendues comme générales alors qu’elles sont en réalité très tournées vers nous-mêmes. 

Arthur Teboul : On ne sait pas trop nous-mêmes, on n’a pas de réponse, pas de vision claire de ce qu’est notre monde. Et en plus, on a 5 paires d’yeux. Donc, on ne voit pas la même chose. En revanche, la musique donne la possibilité que nos doutes se transforment en un possible dialogue. Si tu te poses des questions qui prennent forme, elles vont peut-être faire réfléchir des personnes qui auront d’autres réponses que toi à cette question. On n’a pas une vision du monde; on est plutôt traversés par des sentiments et émotions qu’on ne sait pas trop expliquer. Et quand on fait de la musique, ces émotions et ces questions rejaillissent.  

Félix Devaux pour Billboard France

Vous avez travaillé avec Arnaud Rebotini sur Palais d’Argile qui a ajouté une pâte électro. Vous aviez travaillé avec des synthés analogiques et des boîtes à rythme des années 70-80. Vous avez poussé ce côté électro encore plus loin dans ce nouvel album ? 

Sébastien Wolf : On a gardé ça, évidemment. On a décidé de travailler sur certains morceaux avec Alexis Delon, un producteur issu de la musique électronique; la musique modulaire. On a poussé certains morceaux dans une direction électro, proche des années 90.

On a encore plus de synthés qu’avant et on continue à faire ce mélange de musique acoustique et de musique électronique qui ce qu’on aime.

Justement, que ce soit avec le phénomène hyper pop et Charli XCX, le rap français où on retrouve beaucoup d’électro, ou encore le rock, j’ai l’impression que le phénomène de la pop mondiale ces dernières années se caractérise par un mélange des genres. Est-ce que c’est une tendance qui vous inspire et dans laquelle vous vous inscrivez ? 

On retrouve enfin dans le rock et dans la pop ce plaisir du jeu et de l’outrance qui,  qui a été l’exclusivité du rap pendant une décennie .

Arthur Teboul : Plus que nous inspirer, je dirais qu’elle nous soulage et nous décomplexe.  On observe évidemment cette scène et elle nous nourrit mais nous, on fait une musique hybride depuis le début et maintenant, on n’a plus trop à s’expliquer.  Cet album-là est finalement aussi hybride que le précédent, peut-être même plus car comme l’époque est à cette hybridité, on ne s’est pas excusé de l’être.  

Sébastien Wolf : Je pense qu’il y a quand même un groupe qu’on adore depuis longtemps, Radiohead, qui avait déjà cette forme de mélange entre musique électronique et rock. Mais de manière générale, comme beaucoup d’artistes et les artistes pop en particulier, je pense qu’au fond, on se lasse quand même assez vite d’un style. On n’a pas envie de se faire enfermer dans des styles, ce qui ne nous arrive pas car au bout d’un moment, ça nous emmerde. Si on a fait une chanson dans un style dans l’album, on ne va pas refaire le même style, on n’en a pas envie. Donc naturellement, le groupe crée des choses qui n’ont rien à voir.

Antoine Wilson : Ce n’est pas quelque chose de préparé. On a cinq goûts très différents donc on est toujours en train d’essayer de se convaincre. “Tiens, écoute, viens, on fait une chanson reggaeton”

Arthur Teboul : “Une chanson de New Wave ou de la pure pop”. 

Antoine Wilson : Parfois on s’engueule car on est pas d’accord donc, c’est vraiment quelque chose qui se fait naturellement. On ne se dit pas qu’on va mélanger tel ou tel style.  

Arthur Teboul : C’est vrai que c’est chouette de voir toute cette nouvelle scène hyper décomplexée vis à vis de ça, hyper ouverte, hyper fun aussi. Il y a du plaisir, il y a du jeu. Je trouve qu’on retrouve enfin dans le rock et dans la pop ce plaisir du jeu et de l’outrance qui,  qui a été l’exclusivité du rap pendant une décennie.

Sébastien Wolf : Il fallait être dans des écoles alors que dans le rap, les prods étaient déjà très ouvertes. C’est vrai que c’est en train d’arriver aussi chez nous. C’est cool. 

En parlant de Radiohead, c’est une de vos inspirations parmi tant d’autres comme Pink Floyd, Brassens, ou encore Booba. Est-ce que, dans la nouvelle génération, il y a aussi des artistes qui vous inspirent ? 

Sébastien Wolf : Je vois ici le vinyle de Fontaines DC. En tant que groupe, ça nous fait plaisir de voir un groupe qui a su se réinventer et faire un disque aussi marquant. Dans la scène française, il y a des artistes qui nous touchent particulièrement. Moi, Iliona, par exemple. 

Antoine Wilson : Moi, j’adore Theodora. 

Arthur Teboul : Billie Eilish, Rosalía sont des artistes qui nous ont inspirés. Pour le disque il y en a plein. 

Antoine Wilson : Bad Bunny a inspiré aussi.

Arthur Teboul : En Belgique, il y a Camille Yembe, c’est chanmé ce qu’elle fait. On suit ce qui se fait. En français et ailleurs. 

Sébastien Wolf : Il y a une belle scène francophone. On pourrait faire une liste. Beaucoup de femmes très fortes et d’autres qui arrivent qui sont très fortes. Il y a vraiment toute une génération. Yoa par exemple. On pourrait en citer plein. 

Félix Devaux pour Billboard France

La sortie de votre dernier album remonte à 2021 mais ces années ont été pour vous riches artistiquement. Vous avez été en résidence au Louvre pendant deux mois en 2023. Est-ce que ça a été une inspiration supplémentaire pour le nouveau projet ? 

Sébastien Wolf : Il y a deux morceaux du disque qui ont été entièrement faits là-bas, ce sont les deux premiers qu’on a terminés et qui sont très importants pour le démarrage du disque.

La résidence au Louvre a été un moment où on s’est autorisés à casser beaucoup de choses, que ce soit au niveau du fonctionnement du groupe ou de la musique. 

On a fait des choses qu’on n’aurait pas osé faire autre part qu’au Louvre. On a par exemple fait des expériences avec des personnes issues de la musique contemporaine.

Le danger, après un disque comme Palais d’Argile qui a eu un assez bon succès, c’est de se répéter.   On sait faire des chansons à la Feu Chatterton et on a des réflexes dans la manière d’écrire, de composer, d’harmoniser, de faire des enchaînements dans les structures des morceaux. 

Et ce passage-là a marqué le début de notre remise en question qui a duré après l’expérience au Louvre. Heureusement qu’il y a eu le Louvre, parce qu’on aurait pu passer un an sans rien faire et faire cette remise en question un peu tard. 

Parce qu’après 4 albums, 12 ans de carrière, t’as toujours des moments où tu n’as plus envie de faire la même chose qu’avant. Il faut accepter ce chemin de remise en question. 

Peut-être que finalement le disque reste assez proche de ce qu’on faisait avant mais nous, on a fait ce chemin où on a eu l’impression de vraiment aller au fond du labyrinthe. 

Comment vous répartissez le travail à cinq? 

Sébastien Wolf : Gros bazar. Anarchie. Remise en question tout le temps. Doutes. 

Antoine Wilson : Tu détruis, tu construis, tu détruis. 

Arthur Teboul : On ne sait pas trop mais on a quand même constaté qu’il y a une première étape avant qu’on saute dans la mêlée, tous ensemble, c’est la composition en binôme des débuts de morceaux. On fait des modules. On part par exemple avec Seb quelques jours et on écrit une poignée de chansons qu’on ne finit pas. On essaye d’avancer assez pour que, quand on va jeter le morceau au piranha, il reste un os, même plus qu’un os.  On n’avance pas trop quand même pour que lorsqu’on amène le morceau, les autres ne se disent pas qu’il n’y a rien à raconter là-dedans. 

Sébastien Wolf : On connaît aussi les spécificités de chacun dans le groupe. Donc, quand tu prépares un morceau, tu sais par exemple que le batteur Raph va vraiment tripper et trouver un rythme chanmé. Donc, tu lui laisses de la liberté. Il est chez lui, il cherche des patterns. 

C’est un peu long parce que quand t’es un artiste tout seul chez toi,  tu fais les morceaux à peu près jusqu’au bout et après, tu vas en studio. En groupe, tu ne fais qu’un petit bout du morceau car tu sais que si laisse à l’autre la place, il va amener le morceau beaucoup plus loin et c’est ce qui donne la force au groupe. C’est beaucoup plus chronophage, mais le résultat est bien meilleur que ce qu’on aurait fait solo.

Félix Devaux pour Billboard France

Vous revenez avec votre nouvel album plus de 4 ans après Palais d’argile, certifié  disque de platine. Est-ce qu’on ressent une pression après un tel succès? 

Arthur Teboul :  On la ressent maintenant parce que l’album va sortir. On est fiers de l’album. On trouve qu’il est chanmé. De fait, on a de grandes ambitions pour le disque donc beaucoup de pression. On s’est donné les moyens aussi. 

Mais je trouve que le moment où la pression était la plus dangereuse, c’était après Palais d’Argile lorsqu’on devait se mettre à composer. C’était dangereux parce que tu es encore dans ton succès qui a été alors qu’il faut que tu inventes. Le succès, c’est cool. Et quand tu en as eu pendant 2/3 ans, tous les jours et que tout le monde t’a applaudi, tu n’as qu’une envie: tout de suite en ré avoir. Sauf que pour faire de belles choses, il faut prendre son temps. La récolte n’a lieu qu’à la fin. Tu veux récupérer ton fruit tout de suite ? Bah, ce ne sera pas un bon fruit. 

Il faut juste accepter le temps qui te fait oublier cette phase de tournée et succès-là pour retourner dans l’autre phase où tu retrouves ta grotte. Tu retrouves ce plaisir de la musique comme une fin en soi. Si la musique devient le moyen du succès, tu te fais piéger et tu fais des trucs nuls parce que tu n’es pas dans une vérité profonde.

Sébastien Wolf : On a aussi créé notre label donc c’est nous qui sortons le projet. Il y a tout cet aspect assez excitant mais stressant  parce que c’est nous qui devons prendre toutes les décisions. 

Avant, on avait quand même un label qui faisait ça à notre place. Ça a des avantages d’être indépendant, mais ça ajoute une dose de stress en plus. Donc cet album est doublement stressant. 

On a compris avec le temps que l’indépendance était une des clés pour être parfaitement libre dans cette industrie.

Dès 2015, vous avez autoproduit votre EP Bic Médium. Est-ce une volonté que vous aviez depuis longtemps d’être indépendant?  

Sébastien Wolf : Entre temps on a signé en maison de disques mais je pense que c’est une volonté globale des artistes aujourd’hui. 

Déjà pour une raison financière:  maintenant on vend quand même beaucoup moins de disques qu’avant, donc ce serait bien qu’il y ait moins d’intermédiaires.

Puis se dire quand on fait de la musique que ton master n’est plus à toi, c’est quand même assez dur. Je comprends Taylor Swift. (ndlr Taylor Swift a récupéré les masters de ses albums). Par exemple, un truc bête comme une captation pour le Zenith de notre tournée précédente ne nous appartient pas. Maintenant, on a ce désir de garder nos bornes. 

Antoine Wilson : Surtout que l’artisanat, on le fait nous. Du début à la fin:  la prise de son, la recherche sonore,  personne ne fait rien à notre place donc on a envie que le disque soit à nous après.

Arthur Teboul : Pour acquérir ce savoir-faire, ça demande peut-être un peu de temps et d’expérience. Au début, on commence à 15 ans, on ne connaît ni le métier ni les types de postes dans le métier.  On a eu besoin d’une maison de disque qui pilote tout ça, sachant que quel que soit le type de contrat qu’on a eu en maison de disque, notre indépendance artistique a toujours été totale. C’est un truc sur lequel on a toujours veillé.  Puis à force, on se met à maîtriser tout ça. Donc on se dit, autant le faire nous-mêmes.

Sébastien Wolf : Maintenant, il y a beaucoup de jeunes artistes qui veulent tout de suite être dans cette forme d’indépendance. Quand je vois la quantité de travail en plus qui n’est pas de la musique, je pense que ça aurait été une erreur pour nous d’avoir notre propre label dès le premier ou le deuxième album. 

Le temps de travail des labels qui nous ont produits a été du temps où on a fait de la musique. On a fait de la musique de films, on a fait plein d’autres choses. On n’aurait jamais eu le temps de le faire si on avait eu notre label et qu’on avait dû gérer toutes les stratégies de sortie.

Arthur Teboul: On aurait même explosé en vol. Parce qu’en 10 ans, on a changé, nos modes de vie ne sont plus les mêmes. A 20 ans, on est fou,  on pense à d’autres choses. Ça demande une discipline de vie quand même. Au même titre qu’on a deux modes de vie dans la musique, entre le studio et la scène, on a deux cerveaux: un moment où tu t’abandonnes à toi-même comme un gosse complètement fou dans ton studio en train d’inventer des trucs trop bizarres et le moment des lignes de compte, des réunions, de l’administratif.  

Il y a plusieurs années, ça nous aurait été insupportable d’accepter ces deux casquettes, ce n’était pas le mode de vie qu’on voulait. 

On a compris avec le temps que l’indépendance était une des clés pour être parfaitement libre dans cette industrie. 

Maintenant que vous avez créé votre label, vous souhaitez produire d’autres artistes ? 

Arthur Teboul : C’est marrant que tu poses cette question parce que cette volonté est assez récente dans notre état d’esprit. Ça fait peut-être un an à peu près qu’on se dit que notre expérience et savoir-faire peut être utile à cette jeune génération talentueuse. Si on peut leur donner un coup de pouce, parfois léger, parfois plus profond, on va le faire. Il y a plein d’artistes de la nouvelle scène mais on reste un peu mystérieux.

Sébastien Wolf : Que ce soit collaborer en studio ou soutenir des artistes de manière plus stratégique, c’est quelque chose qu’on aime faire et qu’on fait.  C’est en cours d’organisation. Il y a notamment une super génération de jeunes autrices et compositrices, C’est assez fou parce que la scène française est hyper créative et qui mélange énormément les genres. 

Pour terminer sur les moments clés de votre carrière, en 2021, vous interprétez le poème L’Affiche Rouge qui est écrit par Louis Aragon en 1944 et qui a été mis en musique par Louis Ferré en hommage aux Manoukians résistants communistes étrangers exécutés par les nazis. En 2024, vous êtes appelés pour une nouvelle interprétation lors de la panthéonisation de Missad Manoukian. Pourquoi avoir interprété un texte aussi symbolique et quelle est la place de cette œuvre,  et plus largement de votre engagement politique, dans votre musique ? 

Sébastien Wolf : C’est assez fou. C’était une chanson qu’Arthur fredonnait depuis longtemps. On s’est dit que ça pourrait être marrant de faire une version assez minimaliste presque à cappella en concert. Ça a résonné, le public s’est tu et il y a eu tout de suite une écoute hyper attentive, la même qu’en 2024 quand on l’a fait au Panthéon. On était en pleine élection présidentielle avec l’extrême droite qui montait. Après ça, il nous est paru évident qu’il fallait la jouer.  On a joué le morceau tous les soirs. On se disait que c’était une manière de remettre la résistance et les étrangers au centre afin que les gens puissent se poser ces questions-là sans leur donner un discours préétabli, mais en leur racontant un fait historique. 

Arthur Teboul : Oui, mais plus que ça, quand même. Une chanson n’est jamais qu’un message. Elle n’est jamais un programme. C’est à la fois un contexte et à la fois au-delà d’un contexte. C’est la lettre d’un résistant adressée à sa femme à quelques heures d’être fusillé. Ça devient un message universel de célébration de l’amour et de la vie. Ça devient bouleversant pour quiconque au-delà de son bord politique. Qu’est-ce que c’est que rester digne devant la mort, choisir ses combats ? Qu’est-ce que c’est qu’agir ? Qu’est-ce que c’est qu’aimer ? 

La chanson, elle n’est pas arrivée à nous parce qu’on s’est dit qu’il fallait qu’on porte un message.  On ne fonctionne jamais avec une idée qu’on veut mettre en pratique. On ne sait pas le faire. Il y a un instinct qui nous dit qu’il faut faire quelque chose et après, on se demande pourquoi on l’a fait. On ne s’est pas dit “Il faut qu’on porte un message. Il y a quoi dans le catalogue, dans le répertoire français qui pourrait le faire ?”.  Il y a une chanson que je connaissais pas, qu’un copain m’a fait découvrir et qu’on s’est mise à aimer sans savoir pourquoi. 

Un jour dans les loges on la joue et quand on l’a jouée en concert parce qu’on sentait que c’était très beau de le faire. Avec le contexte politique, en disant les mots et en sentant le rapport avec les gens, on s’est dit qu’ il y avait une portée supplémentaire. 

On s’est mis à la jouer tous les soirs et c’est devenu un des moments forts de notre concert et de notre carrière.

Félix Devaux pour Billboard France

Des expériences clés de votre carrière sont aussi les collaborations  avec le secteur cinématographique et le spectacle vivant. Vous avez fait plusieurs bandes son originales: La Grande Magie de Noémie Lvowsky, Un Homme en Fuite de Baptiste Debraux. Quels sont les challenges quand on écrit pour un réalisateur?  

Antoine Wilson : Je ne parlerai pas trop de challenge. Je pense que ça nous donne une grande liberté de création. Quand on compose de la musique instrumentale, on est au service de l’image. C’est beaucoup plus abstrait ce qui nous permet de se mettre moins de limites. On a moins peur aussi. Parce que ce n’est pas Feu!chatterton, on est derrière le film. On n’est plus les seuls juges. Il y a le réalisateur qui va être là et qui va dire s’ il aime ou non. 

Arthur Teboul : On pourrait penser que c’est une contrainte d’être au service de quelque chose mais ça nous allège et nous donne de la liberté. Le réalisateur a son monde et plus il est clair, plus c’est facile.  

Pour la pièce de théâtre  Un chapeau de paille de Labiche et le film La Grande Magie de Lvovsky, il y  avait des bouts de texte à mettre en chanson. Quand tu as déjà le texte, tu as déjà les scènes, tu as déjà les situations, c’est plus facile. 

Sébastien Wolf : Feu, c’est quelque chose d’assez éclaté dans les styles. Quand tu fais la musique d’un film, d’un spectacle ou d’une série, tu te donnes des directions très claires au début pour ne pas aller dans tous les sens, sinon le film va être incompréhensible. Tu essaies de créer des choses et le réalisateur ou la réalisatrice filtre à la fin. C’est comme si tu définissais un décor. Tu marches sous contrainte, mais ça va te donner à l’intérieur de cette contrainte beaucoup plus de liberté.

D’un autre côté, au bout d’un moment, tu en as un peu marre, il faut être honnête. Donc tu es content de revenir à Feu et d’être ton propre juge. 

Arthur Teboul : C’est kiffant de s’abandonner à la capitainerie d’un ou d’une autre mais au bout d’un moment, c’est aussi frustrant. À la fin des projets où on est au service de, qui peuvent se passer superbement bien, on est content de re devenir les capitaines du bateau.

On va réfléchir à des featurings, chose qu’on n’a jamais faite sur nos disques.

En parlant de collaborations. Vous aviez collaboré avec Prince Waly deux fois sur Boys en 2019, et Bleu en 2022.  Comment s’est faite cette collaboration ?

Sébastien Wolf : Montreuil. 

Arthur Teboul : J’ai un super pote rappeur. C’est mon ami d’enfance. Quand on était petits, on rappait. Et lui, a continué. Ce qui est beau avec le rap, c’est que c’est tellement une culture, une passion, chez tellement de gens qu’il y a tout le temps des nouveaux courants et des nouveaux artistes qui pop up  de partout. Pour tout suivre, faut être un peu fou, et mon ami l’est. A chaque fois que je le vois, je lui demande des nouvelles du rap. C’est un peu mon Mehdi Maïzi. 

En 2016, il me dit qu’il y a Junior, un projet de Myth Syzer et Wally qui tue et qu’il faut que j’écoute. Il y avait la release party au Petit Bain, et au vestiaire, j’ai croisé la manageuse de Wally qui me reconnaît de Feu, et qui a halluciné un peu que je sois là. Pour elle, il n’y avait pas de lien. On voit le concert, j’étais hyper impressionné par le charisme de Wally sur scène. Super moment. Et un ou deux ans plus tard, je reçois un mail de la manageuse qui est venue au Petit Bain. Elle me dit que Wally kiffe de fou notre musique, qu’il a découvert récemment. On s’est rencontrés et après, c’est parti. C’est tellement un pur gars. Trop cool.

Peut-on s’attendre à d’autres collaborations?  Sébastien, je sais que tu voulais collaborer avec SCH. 

Sébastien Wolf : On espère, si il lit l’interview. 

Arthur Teboul: On est chauds. Théodora, on kifferait. Il y a plein de gens. 

SW : Théodora, Julian Casablanca. 

Arthur Teboul : Strokes, on y va, pas de problème.

Sébastien Wolf: Je ne sais pas si on peut s’attendre, en tout cas, on est chauds. C’est marrant parce qu’on a quelques morceaux qu’on imagine plutôt en duo. Ils sont prêts et là, on va réfléchir justement à featurings, chose qu’on avait jamais faite en disque. Là il y a un morceau avec un saxophoniste mais on a pas fait de duo vocal, ça va arriver bientôt.

Aujourd’hui, on se rend vraiment compte de l’utilité sociale de la musique.

On ne peut pas parler de Feu! Chatterton sans parler un peu de poésie, parce que votre nom de groupe vient du tableau La mort de Chatterton, du poète Thomas Chatterton. Arthur, tu as sorti deux recueils de poésie, Le Déversoir en 2023, et L’Adresse en 2024. Comment la poésie inspire-t-elle  l’écriture des morceaux de Feu ? 

Arthur Teboul : La poésie infuse un peu tout. Quand j’écris, je ne me pose pas la question de savoir si c’est poétique ou pas poétique. J’ai plus l’impression que c’est une école de la vie la poésie et je suis tombé dedans quand j’étais petit. Ma manière d’être au monde a maintenant toujours un rapport avec la poésie; dans cette fougue que je reconnais depuis que je suis petit dans les grands poètes. Ce sont souvent des gens révoltés, insolents, qui questionnent nos habitudes, qui questionnent l’ordre établi et qui renouvellent notre œil. Je les vois aussi comme des compagnons de route, des amis particulièrement intelligents, sages de leur ardeur, de leur amour de la vie. De temps en temps, ils t’envoient des petits messages qui te revivifient et qui te rappellent comment il faudrait vivre cette vie plus humainement.

La poésie infuse forcément l’écriture parce que ça m’aide à trouver des formes et à avoir des visions. Le mot n’est que l’expression d’une vision. Il faut tout un monde intérieur; capter des choses avant de pouvoir les écrire. Et pour revivre ces choses, j’ai besoin des poètes.

Il y a un rapport très fort entre la poésie et l’enfance. Quand tu lis un bon poème, il t’enlève des couches qui te ramènent à la naïveté et sincérité de ton enfance et qui te rappellent les choses importantes de la vie: rester émerveillé, rester curieux, ouvert, généreux, etc. Pour moi, la poésie est une sorte de nourriture de l’âme qui vient de plein de choses.   La poésie, c’est trouver ce qu’on n’attendait pas. A chaque fois qu’on trouve ce qu’on n’attend pas, il y a quelque chose de poétique qui se révèle, qui nous rappelle, dans ce monde où on veut toujours avoir ce qu’on attend le plus vite possible, que la vie, ce n’est pas ça.

Et tu disais que le poète avait une utilité sociale. Le musicien aussi? 

Arthur Teboul : Oui. Je pense que pendant longtemps, peut être parce qu’on avait un monde qui allait mieux, qui était plus insouciant, dans un Occident qui était plus sûr de lui, la musique était une part de divertissement, ou du moins, ça en avait l’air.

Aujourd’hui on se rend vraiment compte de l’utilité sociale de la musique quand on arrive à créer des bulles de joie, des bulles d’espoir, des bulles de paix. 

Sébastien Wolf : Et de réflexion. On parlait de l’Affiche Rouge

Arthur Teboul : C’est important. 

Propos recueillis par Zoé Thouvenin pour Billboard France