Amelie Lens : « Beaucoup de gens l’ignorent, mais je suis en réalité née française. »

Amelie Lens au défilé Courrèges SS26
Crédit : Courrèges
Le 30 septembre au Carreau du Temple, les invités du défilé Courrèges ont pour la plupart suivi la consigne. Une majorité est munie de sa paire de lunettes, arrivée par courrier. « Bring me to the show » disait l’invitation, annonçant un de ces effets scéniques qui ont fait la réputation de Nicolas Di Felice.
Amélie Lens n’y fait pas exception. Peu après le défilé, elle se pose pour répondre à quelques questions, avant de repartir pour un autre set. La DJ et productrice belge en profite pour revenir sur ce parcours atypique, de la mode à la musique.
Dans une transition finalement naturelle, elle a su transformer son expérience passée de mannequin en force dans une industrie musicale qui tend à reprendre les codes du monde de la haute couture. Aujourd’hui figure incontournable de la techno mondialisée, elle se produit sur les plus grandes scènes mondiales, ayant notamment été tête d’affiche du festival Tomorrowland cet été, tout en gardant un lien presque charnel avec les clubs de plus petite capacité.
Rencontre avec une artiste qui assume cultiver un lien particulier avec ce public français, terre de ses racines familiales.
Du mannequinat à l’industrie musicale
Tu as commencé ta carrière dans la mode en tant que mannequin, avant de poursuivre dans la musique. En quoi ces expériences passées dans la mode ont-elles influencé ton approche du son aujourd’hui ?
En réalité, la musique a toujours été ma passion, même quand j’étais mannequin. Le mannequinat était un travail pour pouvoir payer mes études et mon loyer. Mais la musique a toujours été ma vocation.
Quand j’étais mannequin, j’ai vraiment senti toute la force que la musique peut dégager, et notamment ce qu’elle peut apporter à un défilé de mode.
Il y a un storytelling commun à la mode et à la musique. Sur un podium, on raconte une histoire sans utiliser de mots. Et je pense que c’est pareil avec l’écriture ou le jeu musical, tu racontes vraiment une histoire sans paroles.

À propos de musique et de défilés… Si tu avais la possibilité de travailler la bande-son du show Courrèges de ce soir, qu’aurais-tu choisi pour correspondre à la collection ?
Je pense que la musique était parfaite cet après-midi… Quand j’étais mannequin et que je défilais, c’était mon rêve de créer la musique du show. Je me disais toujours : « Avec ce genre de collection, je ferais ce genre de morceau. ».
J’étais curieuse de découvrir la musique du défilé, car je pense que c’est un élément tellement important, pour mettre en valeur la collection, mais pas pour la dominer, vous voyez, juste pour y apporter une énergie supplémentaire. Et j’ai beaucoup aimé celle-là, c’était vraiment puissant, donc difficile d’imaginer ce que j’aurais fait différemment.
Tu as récemment clôturé la scène principale de Tomorrowland, dans ton propre pays. Comment abordes-tu ces immenses scènes par rapport à des clubs plus intimistes, ou des petites salles ?
Je suis une raver dans l’âme, donc moi, personnellement, je préfère les petites salles, plus intimes. Mais en tant que DJ, je préfère les grandes foules, parce que d’une certaine façon, je me sens plus à l’aise face à un océan de gens que face à des individus qui me regardent directement. Ça me rend un peu nerveuse. Et donc l’approche est, évidemment, très différente.
Sur les grosses scènes, je joue de façon plus énergique, avec plus de ruptures et des mélodies plus amples. Mais l’essence de mes sets ne change pas : il s’agit toujours d’apporter de l’énergie, de transmettre des émotions et de garder une forte intensité.

Une techno toujours plus mainstream ?
La techno est partout en ce moment, de la scène underground à certaines gigantesques comme la mainstage de Tomorrowland. Vois-tu un risque pour le mouvement de perdre un peu de son authenticité ? Et penses-tu que la scène peut continuer à grandir tout en préservant ses racines ?
Je pense vraiment que le développement de la techno a eu un impact majeur sur le son, mais aussi que la scène est plus fragmentée aujourd’hui. Le cœur de la techno, le son underground, restera toujours ce qu’il est, en sous-sol.
Il y aura toujours des artistes qui ne joueront pas sur les grandes scènes, qui resteront fidèles et voudront se concentrer sur les petits clubs et sur ce son-là.
Mais je crois aussi qu’il y a de la place pour que la popularité de la techno grandisse, tant que les artistes conservent l’authenticité et l’émotion dans leur musique.
Pour ma part, même lorsque je joue sur la mainstage de Tomorrowland et que je crée certains morceaux en ayant forcément ce cadre en tête, l’émotion que j’y mets et l’authenticité restent réelles. Ce qui compte le plus selon moi, c’est de ne pas transformer ma musique parce que je joue devant une grande foule, ou parce que la techno se popularise.

Un lien charnel avec Paris et la France
Aujourd’hui, nous sommes à Paris. Cet été, tu t’es produite aux Vieilles Charrues, au POSITIV Festival et à We Love Green. Et en 2024, ton premier concert solo était au Zénith de Paris. Pourquoi Paris pour ce premier show individuel ?
Beaucoup de gens l’ignorent, mais je suis en réalité née française. Enfant, j’ai changé de nom et ma nationalité est ensuite devenue belge. Mais toute ma famille est française, donc j’ai, bien sûr, un lien fort avec la France. Je sens que c’est chez moi, et aussi une connexion particulière avec le public français.
Mais c’est aussi simplement que l’énergie à Paris est tellement brute et réelle. Je ressens vraiment, quand je joue ici, que cela vient du plus profond des gens.
Aussi, la scène est très forte ici. Je viens à Paris depuis longtemps, mes premiers all-nighters étaient également à Paris. J’ai joué au Rex Club, donc j’ai l’impression d’avoir une longue histoire avec mon public ici.
Je pense que c’est pour ça que Paris est si spécial pour moi.

Les morceaux et les sets techno incorporent de plus en plus d’influences d’autres styles, voire des éléments trance. Penses-tu que cela soit une tendance passagère ou une orientation durable pour la scène techno ?
C’est une question vraiment, vraiment difficile et j’y pense beaucoup. Je pense que la musique évolue toujours, et même si des tendances apparaissent et disparaissent, cela laisse malgré tout une empreinte sur le son.
Bien qu’elle évolue, je ne le vois pas forcément comme une mauvaise chose. Comme je l’ai dit plus tôt, je crois vraiment que le vrai son techno sera toujours là, et que parallèlement une nouvelle scène se sera créée.
Si les gens aiment ce nouveau son, ils peuvent aller là-bas. Si les gens préfèrent le son techno old school, ils peuvent aller dans d’autres clubs et vers d’autres artistes.
Je pense que c’est peut-être même sain pour la scène de traverser ces cycles, d’avoir ces influences venues de tendances. Au final, cela passera peut-être ou évoluera vers d’autres directions, en gardant peut-être le meilleur et en laissant de côté le pire.