Sommet de la France Music Week : rencontre avec Emmanuel Macron, IA et international

Illustration : Sommet international de la France Music Week au Palais Garnier — Opéra national de Paris
Abderahman Lakhal pour Billboard France
Ce lundi 16 juin, la ministre de la Culture, Rachida Dati, donnait le coup d’envoi de la première France Music Week. Lancé publiquement en 2024, cet évènement réunit des séquences dédiées aux professionnels et d’autres ouvertes au grand public, à l’instar des Music Weeks de Miami, de Riyadh, de Dubaï, ou encore d’Athènes… Billboard France, partenaire officiel de l’évènement, a couvert la semaine dans son ensemble.
Annonce phare de la semaine, un investissement de 500 millions d’euros dans la filière musicale d’ici 2030 via Bpifrance : 125 millions d’euros d’accompagnement en fonds propres, c’est-à-dire des levées de fonds pour des sociétés françaises en forte croissance, des projets de développement à l’étranger ou de consolidation par des rachats d’actifs, 340 millions d’euros de prêts ou garanties et 35 millions de soutien à l’innovation.
« Nous avons lancé Choose France il y a 8 ans maintenant. Désormais, je veux faire exactement la même chose dans un certain nombre de secteurs, la musique est l’un d’eux. Je pense que nous pouvons aller plus loin, nous avons beaucoup d’atouts pour gagner en attractivité », a déclaré Emmanuel Macron lors d’un discours devant les principaux décideurs, nationaux et internationaux, du secteur.
« Soutenir les entreprises de la filière musicale, c’est soutenir un point essentiel de notre souveraineté culturelle et de notre identité économique », déclarait lundi Rachida Dati.
Journée d’échanges
Parmi les invités les plus attendus de la journée, le PDG de Warner Music Group, Robert Kyncl, a ouvert sa prise de parole en évoquant le succès global d’Aya Nakamura. « Nous faisons beaucoup de développement, mais il faut mobiliser une armée dans le monde entier pour construire un artiste qui dure dans le temps. […] Nous sommes notamment fiers d’Aya Nakamura, qui est signée chez Warner Chappell et Warner Music. »
John Reid, président de Live Nation Entertainment, a de son côté axé son intervention sur le futur du spectacle vivant : « Quand on s’intéresse aux nouveaux marchés comme l’Asie ou le Moyen-Orient, on voit qu’on aura des croissances similaires sur les tournées que ce qu’on a connu aux États-Unis il y a 3 ou 4 ans. »

Du côté des acteurs, français, la directrice générale-gérante de la Sacem, Cécile Rap-Veber, a pointé du doigt le danger de la dilution, notamment face au développement des intelligences artificielles génératives. « C’est ce qui nous fait perdre de la valeur aujourd’hui. C’est pour ça qu’Universal et la Sacem ont été parmi les premiers à adopter l’artist-centric sur Deezer. J’espère que toutes les plateformes vont adopter un principe qui fait qu’on rémunère la vraie création et les vrais créateurs. »
Étaient également présents au Palais Garnier — Opéra national de Paris, Lyor Cohen (YouTube), Victoria Oakley (IFPI), Lee Soo-Nam (SM Entertainment), Adriana Moscoso Del Prado (GESAC)… Mais aussi les représentants d’acteurs locaux : Alexis Lanternier (Deezer), Denis Ladegaillerie (Believe), les dirigeants des trois majors, Alain Veille (Warner Music France), Marie-Anne Robert (Sony Music France) et Olivier Nusse (Universal Music France), ou encore Emmanuel de Buretel (Because Music) et Pedro Winter, producteur historique des grands noms de la French Touch avec Ed Banger.
Trois principaux défis
Plusieurs décideurs du secteur ont également été reçus par Emmanuel Macron à l’Élysée en amont de la célébration traditionnelle de la Fête de la musique. Dans un discours en audience restreinte, ce dernier s’est exprimé sur les principaux défis du secteur, notamment celui de la rémunération des artistes.
« Des alternatives telles que les modèles artist-centric ou user-centric, portées par des plateformes comme Deezer, méritent toute notre attention. […] Nous devons suivre ce travail et, c’est très important, arriver à une approche commune européenne », a détaillé le Président de la République.

Autre défi, celui de l’explosion des méga-concerts. « Ce sont des succès spectaculaires que nous sommes fiers d’héberger, notamment Beyoncé au Stade de France, mais qui ne doivent pas masquer des faiblesses sous-jacentes. Les salles, festivals et scènes locale de moyenne taille ont du mal à faire face à l’explosion des coûts. Nous devons nous organiser pour ne pas sacrifier ce qui est clairement la force du modèle français. »
Enfin, Emmanuel Macron a souligné la nécessité d’un investissement français dans l’intelligence artificielle pour rattraper, notamment, les États-Unis et la Chine, tout en maintenant une « approche éthique ». « Création et innovation ne sont pas des opposés. L’histoire de la musique est une réinvention constante, et la musique a toujours été à l’avant-garde du changement. […] Une IA générative sans régulation pourrait mener en amont à une dépossession des créations originales et en avant à une dilution de la valeur de la création humaine. »
En fin de journée, The Avener, Kassav’ et Band’a’part se sont produits dans la cour d’honneur du Palais présidentiel. Le lendemain, en clôture de la France Music Week, un grand concert gratuit a investi les jardins du Louvre : Major Lazer Soundsystem, Kalash ou encore Christine and the Queens sous la direction artistique de Thierry Reboul, Victor Le Masne et Romain Pissenem, déjà à l’œuvre lors des Jeux olympiques de Paris.
L’intelligence artificielle, potentielle « machine à détruire la valeur de la musique »
Au-delà du discours d’Emmanuel Macron, l’intelligence artificielle était au cœur des discussions tout au long du Sommet. Au Palais Garnier, Rachida Dati expose ainsi sa vision : « si elle constitue un outil unique au service de la filière, sa puissance va de pair avec de grandes responsabilités. Il s’agit, en effet, d’éviter que la musique 100% synthétique, générée par IA, ne prolifère au détriment des créateurs. »
Jean-Baptiste Gourdin, Président du Centre National de la Musique, lui consacre également un important passage de son discours de clôture : « L’intelligence artificielle, en particulier, n’est plus une projection futuriste. Elle est déjà là, intégrée dans les processus de création, de distribution, de recommandation, de gestion des droits. Cela soulève des questions juridiques, économiques, éthiques : car si l’IA peut être un formidable outil au service des artistes et des publics, elle peut aussi devenir, si elle n’est pas correctement régulée, une machine à détruire la valeur de la musique. »

Défendre un modèle français
Fil rouge de la journée, la défense de l’exception culturelle et l’élaboration d’un modèle à la française de l’industrie musicale de demain. « La musique a autant besoin de la puissance d’investissement des grandes entreprises internationales que de la créativité et de l’audace des acteurs indépendants et locaux », soutient ainsi Jean-Baptiste Gourdin en clôture du Sommet.
« Quelques années auparavant, quand beaucoup voulaient revisiter cette exception culturelle, nous nous sommes battus avec certains d’entre vous et avons réussi à obtenir la préservation du droit d’auteur et la protection des artistes au Parlement européen. Il ne peut y avoir de modèle impliquant de sacrifier le droit d’auteur et la protection des artistes », détaille Emmanuel Macron.
Parmi les pierres de cet édifice, la France Music Week vise à renforcer la position du pays sur la scène internationale. Le Président de la République souligne : « Nous voulons aider nos acteurs clés pour bénéficier des dynamiques globales, largement tournées vers l’Asie, le Golfe, l’Amérique latine et d’autres régions. »
Jean-Baptiste Gourdin complète : « L’export n’est plus une option ou un bonus: c’est un pilier du nouveau modèle économique. Et pourtant, mondialisation ne rime pas avec uniformisation. Partout dans le monde, ce sont les productions locales, enracinées dans une culture, dans une langue, dans un imaginaire collectif, qui tirent les usages et portent la croissance du marché. L’universel passe aujourd’hui par le singulier. Et c’est une formidable opportunité pour les créateurs français et francophones. »
