Conférence du SNEP au MaMA Music & Convention : « Le contenu généré par IA est, par définition, une contrefaçon. »
Derrière les avancées technologiques promises par l’intelligence artificielle se cachent plusieurs inquiétudes pour le secteur de la musique : utilisation de catalogues sans autorisation préalable, opacité des modèles, absence de rémunération des ayants droit…
D’abord réticente face à l’IA, l’industrie musicale avance désormais plusieurs pistes pour l’appréhender dans le respect du droit d’auteur : transparence des modèles, opt-out ou encore des licences pour une utilisation plus vertueuse et légitime.
La table ronde organisée par le Syndicat National de l’Édition Phonographique (SNEP) réunissait :
- Alexandre Lasch, directeur général du SNEP
- Emma Rafowicz, députée européenne et membre du Parti socialiste
- Mosimann, artiste et DJ
- Alexis Lanternier, directeur général de Deezer
- Thibault Lachacinski, avocat pour le cabinet FAJGENBAUM
Entre questionnements sur l’innovation, rappel du droit et souveraineté culturelle, retour sur ces échanges dans le cadre du MaMA.
Un cadre juridique existant
Premier élément conclusif de la table ronde : l’IA est déjà encadrée par la législation relative au droit d’auteur. Par définition, « tout contenu généré par intelligence artificielle est une contrefaçon car cela correspond à la reproduction non autorisée de l’œuvre d’autrui », affirme Thibault Lachacinski, avocat spécialisé en propriété intellectuelle. Selon lui, la principale difficulté réside dans le fait de prouver quels sont les titres ingérés par l’IA pour s’entraîner.
Exemple cité par les intervenants, le procès aux États-Unis opposant Anthropic aux associations d’auteurs. La procédure a démontré que Claude, un chatbot concurrent de ChatGPT, s’entraîne sur des œuvres protégées. Il a été prouvé que modèle se nourrit notamment de bibliothèques fantômes, des sites recensant les œuvres sans autorisation. Anthropic a été reconnu coupable d’utilisation illégale d’œuvres protégées, et et a accepté de dédommager les ayants droit concernés, à hauteur de 1,5 milliard de dollars.
Le choix des entreprises IA de ne pas rémunérer les ayants droit ne relève pas d’une impréparation mais bien d’une stratégie. Meta a admis avoir initialement envisagé de payer les auteurs, mais avoir renoncé par crainte de ne plus pouvoir invoquer l’exception du fair use, un concept juridique américain qui permet d’utiliser des œuvres protégées sans obtenir d’autorisation et sans verser de compensations. En payant, l’entreprise aurait reconnu la nécessité d’obtenir des autorisations, compromettant ainsi sa défense juridique.
L’impact sur les plateformes de streaming
L’IA est un enjeu majeur pour Deezer, qui a développé un système d’identification des morceaux générés entièrement par intelligence artificielle. Alexis Lanternier, directeur général de la plateforme, déclare même que cette dernière est actuellement en discussion avec les distributeurs numériques et les agrégateurs afin de leur proposer cette technologie, pour filtrer les contenus avant même qu’ils ne soient publiés sur les plateformes de streaming.
Les chiffres de Deezer révèlent une progression rapide mais qui demeure marginale en termes de consommation. Désormais, 30% des titres ajoutés chaque jour sont créés par IA, contre 18% en janvier dernier, soit environ 300 000 œuvres par semaine. La part de ces titres dans les écoutes demeure toutefois faible. Une fois les streams frauduleux détectés et retirés, les titres générés par intelligence artificielle représentent 0,4% du total des streams.
Effet domino ?
L’AI Act, récemment adopté par la Commission européenne, constitue selon Emma Rafowicz un premier pas vers une régulation cohérente à l’échelle du continent.
Alors qu’une soixantaine de procès sont actuellement engagés aux États-Unis, les actions restent moins nombreuses, notamment en France et en Europe, en raison de l’absence de procédures spécifiques, d’après Thibault Lachacinski. Il cite en particulier la « discovery », un mécanisme propre au système juridique américain permettant d’obtenir en amont les preuves, documents et témoignages susceptibles d’être utilisés au procès.
Néanmoins, les premières condamnations aux États-Unis ou dans le reste du monde pourraient créer un effet domino obligeant les entreprises à adapter leurs pratiques à l’échelle mondiale.