Les festivals de musique dans l’impasse financière ?

Pour la première fois en 2024, le chiffre d'augmentation du ticket de festival d'une année sur l'autre est au-dessus de l'inflation. Mais cette hausse se suffit pas à compenser une économie des festivals majoritairement déficitaire.

Gazo aux Ardentes 2025

Cette année, les festivaliers ont déboursé jusqu’à 99 euros pour s’acheter les pass 1 jour du festival Lollapalooza Paris, 79 euros pour ceux de We Love Green. De l’autre côté de l’Atlantique, Coachella a introduit un système de paiement fractionné pour que certains festivaliers puissent s’offrir le fameux billet à 599$, symbole d’une montée croissante des prix

D’après le dernier rapport du CNM sur la diffusion live en 2024, le prix des billets pour les festivals français de musiques actuelles et variétés a en moyenne augmenté de 48 % ces dix dernières années.

Les festivals sont pris en tenaille entre des dépenses artistiques et techniques accrues, et des ressources qui n’augmentent pas suffisamment, voire diminuent pour certaines. Deux festivals sur trois sont ainsi déficitaires en 2024.

Des coûts en hausse et des cachets qui explosent

En 2024, pour la première fois, le prix moyen d’un billet de festival augmente plus vite que l’inflation, confie Mary Vercauteren, directrice du soutien aux artistes, aux entreprises et aux projets au CNM à Billboard France. 

En moyenne de 38 euros en 2023, il passe le cap des 40 euros l’année dernière, augmentant ainsi de 5%. Cette hausse est donc supérieure à l’inflation, à 2% selonl’Insee entre 2023 et 2024.

Les charges techniques sont en hausse de 6% en 2024. L’inflation générale en France entraîne également une hausse des coûts de transport, d’hôtellerie, d’énergie et de restauration pour les festivals. Parallèlement, ces derniers ont vu leurs frais de sécurité croître, tandis que les coûts des protocoles sanitaires liés à la pandémie de Covid ont pesé également dans leurs dépenses. Enfin, les festivals sont touchés par le changement climatique, qui génère une hausse des coûts d’assurance et de nouveaux investissements. 

Parallèlement, une seconde augmentation se trouve dans les dépenses artistiques, en particulier les cachets des artistes.

“Il y a une inflation d’ordre plus spéculative qui est liée au cachet des têtes d’affiches” explique Aurélie Hannedouche, présidente du Syndicat des Musiques Actuelles. 

Le rapport sur l’économie des festivals dressé par le CNM rapporte une augmentation des charges artistiques de 9% entre 2023 et 2024, sur les 107 aidés par le CNM. Le coût moyen d’achat d’un spectacle, qui s’élève à 11 567€ , augmente de 6 % par rapport à 2023.  

Entre 2002 et la fin des années 2010, la crise du disque oblige les artistes à se tourner vers le live, un secteur en pleine croissance qui répond à leur manque à gagner. Aujourd’hui, malgré le retour à la croissance permis par le streaming, le live demeure une source de revenus essentielle pour les artistes. 

L’économie des artistes repose un peu plus aujourd’hui sur le live que sur la musique, mais pas forcément autant pour les grands artistes, qui sont les artistes les plus écoutés sur les plateformes” Thomas Paris, professeur associé Chercheur CNRS, expert du champ des industries créatives.

C’est surtout l’économie des stars internationales et la concurrence accrue entre festivals qui expliquent l’augmentation des cachets des artistes. 

La construction rapide de méga-stars se traduit par une forme d’engouement ponctuel autour des têtes d’affiches. Un festival va attirer le public sur sa capacité à avoir des têtes d’affiches, que tous les festivals cherchent à s’arracher”

Charli XCX à We Love Green 2025

Des recettes qui n’augmentent pas significativement

Les recettes de billetterie ont augmenté de 4% par rapport à 2023 et le recours au mécénat est en croissance en 2024. Les subventions enregistrent elles aussi une hausse de 5% en 2024. Des baisses significatives de subventions sont toutefois prévues pour 2025.

Ces coupes budgétaires ont un impact sur les structures des musiques actuelles en termes d’emploi, de dates de concerts ou encore d’actions culturelles. Mary Vercauteren observe aussi « une baisse des aides exceptionnelles à l’occasion du Covid, le désengagement de certaines collectivités ainsi qu’une forme de contraction du soutien de l’action artistique et culturelle des organismes de gestion collective ». 

La recherche de mécènes est également très inégale selon les structures et territoires. “Quand vous êtes dans une très grosse métropole où il y a beaucoup de concurrence, c’est plus compliqué. Quand vous êtes un tout petit événement, c’est très compliqué aussi d’aller chercher des mécènes parce que vous avez moins de visibilité.” explique Aurélie Hannedouche. 

Quelles sources de financement ?

Face à ces difficultés financières, l’augmentation des prix des billets de festivals est une solution. Pour autant, Mary Vercauteren affirme que « la hausse du prix moyen du billet ne compense pas la stagnation du nombre de spectateurs, voire sa baisse dans certains cas, et surtout l’accroissement des coûts. »

Plus inquiétant encore, même les festivals au fort taux de remplissage sont déficitaires puisque d’après l‘étude 2024 de l’économie des festivals, 68% des festivals dont le taux de remplissage est supérieur ou égal à 90% sont déficitaires en 2024, une augmentation de 26 points par rapport à 2023. 

Pour Mary Vercauteren, une meilleure collaboration avec les collectivités locales et en travaillant différemment le mécénat pourrait également être une solution. 

Si, comme dans l’ensemble du secteur culturel, l’offre dépasse très souvent la demande, Thomas Paris rappelle que l’économie des festivals se distingue par une contrainte majeure : elle ne peut pas diversifier son offre.

“Les festivals ne peuvent pas se permettre de faire comme une maison d’édition ou un label, d’ailleurs, de rentabiliser certains titres par d’autres. Le festival doit rentrer dans une économie et doit être rentable”, explique-t-il. 

Beaucoup de festivals offrent aujourd’hui des pass premium ou VIP.  Ces prix différenciés sont également une source de financement importante pour les festivals. Cependant, ces méthodes sont plus efficace lorsque le festival est certain d’être rempli, ce qui n’est généralement le cas qu’avec des artistes très populaires.

Fidéliser et renouveler des publics

Le risque de l’augmentation des prix des billets de festival est une perte potentielle de certains publics et la transformation de la musique en un bien de luxe.“​​À un moment donné, il y a aussi une limite. Le public ne met pas non plus n’importe quel prix dans un concert”, explique Aurélie Hannedouche. 

Une hausse croissante des prix renforcerait des inégalités d’accès à la culture déjà très prégnantes.  Plus que de le perdre, Thomas Paris explique que l’augmentation des prix transformerait les publics. 

Pour Mary Vercauteren, le risque n’est pas tant la transformation des festivals en bien de luxe puisqu’elle rappelle que le prix d’un billet moyen de festival qui s’élevait en moyenne à 40€ euros en 2024 reste inférieur au prix moyen d’un billet hors festival. Elle ajoute également que les prix en France restent très en deçà des tarifs internationaux.   

Selon elle, le principal défi des festivals dans les prochaines années se trouve dans la fidélisation et le renouvellement de son public dans un paysage très concurrentiel.  

“Il faut complètement admettre le fait qu’il y a de plus en plus de concurrence, entre festivals, mais également sur les territoires, avec les Zéniths, les stades et les arénas, qui jouent désormais aussi l’été” explique Aurélie Hannedouche à Billboard France.

Vers plus de singularité

En parallèle, on observe un changement de comportement chez les plus jeunes à travers la recherche d’expériences originales. Les festivals qui portent des projets artistiques ou culturels singuliers parviennent à se différencier et se trouvent dans de meilleures conditions économiques que le reste des festivals. La programmation, l’ambiance ou l’identité du festival sont autant de leviers qui permettent aux festivals de se différencier en se construisant une image de marque distinctive. 

« Les 15-24 ans sont attirés par des festivals autour de sujets d’émergence artistique, de transition écologique ou de décroissance tels que le Biches Festival » confie Mary Vercauteren. 

L’année 2024 a également été celle de l’avènement de nouvelles marques, plus spécifiques et tournées uniquement autour d’un genre musical. Ainsi, Golden Coast, Yardland ou encore Cercle Festival sont tous nés en 2024 et ont réussi à attirer des publics très importants dès leur première édition.

Les festivals généralistes, très concurrentiels, parviennent à attirer le public apr la présence de têtes d’affiche exclusives.

Ou plus de rachats?

Le déficit récurrent des festivals pousse également les acteurs du secteur à se regrouper, avec des opérations de fusions et acquisitions qui permettent de lisser des coûts grandissants. Selon les informations de Billboard France, plusieurs festivals sont en discussion actuellement pour être rachetés par des entités plus importantes. 

Dernier exemple en date : We Love Green, dont l’annonce de l’acquisition par AEG Presents et Combat a été révélée par Billboard France ce mercredi. C’est le deuxième festival détenu conjointement par le tandem, après Rock en Seine (Combat est également présent au capital de plusieurs autres festivals tels que Golden Coast ou La Route du Rock).

“Il y a de plus en plus de rachats de festivals, mais aussi de structures de production, de médias, de billetteries.”, explique Aurélie Hannedouche à Billboard France.

Les pistes d’action pour soutenir les festivals 

En janvier, la Direction Générale de la Création Artistique du ministère de la Culture a ouvert une série de groupes de travail sur l’avenir des festivals avec les acteurs du secteur et a rendu ses conclusions mi-juillet. 

Parmi les priorités dégagées à l’issue des échanges figurent le renforcement de la collaboration entre festivals et collectivités locales, l’intensification du travail avec le CNM pour contenir la hausse des cachets, et un meilleur accompagnement des festivals engagés dans la transition écologique. 

En complément de ces mesures, la Ministre a également annoncé le lancement d’une mission pour examiner la possibilité d’adopter des droits voisins pour les producteurs de spectacle vivant. 

Le Syndicat des Musiques Actuelles attendait de cette concertation une plus forte redistribution entre les festivals et les autres événements musicaux. Le droit de tirage du CNM permet aujourd’hui aux festivals de récupérer 60% des 3,5% de la taxe sur la billetterie des festivals et spectacles, soit 7 millions d’euros. Les 40% restants permettent, en plus du soutien de l’État, et de celui des organismes de gestion collective, de contribuer à l’aide sélective aux festivals. Elle vise à soutenir les  événements qui contribuent le plus aux objectifs d’intérêt général.

Cependant, cette taxe est pour l’instant plafonnée à 53 millions d’euros, le reste étant redirigé vers le budget général de l’État. Le SMA demande un relèvement des plafonds pour les taxes sur la billetterie et le streaming perçues par le CNM, respectivement à 65 millions d’euros et 25 millions d’euros. Cette proposition pourrait être examinée lors du projet de loi de finances de 2026, à condition qu’un parlementaire la soutienne. 

“C’est un levier pour pouvoir rééquilibrer entre grosses machines et projets plus indés, entre métropole et milieu rural.” explique Aurélie Hannedouche à Billboard France.

Une réinvention du modèle?

Autre défi majeur pour les festivals : la transition écologique. L’empreinte carbone des festivals est importante, notamment en raison du déplacement des publics, des artistes et du matériel. Un festival de grande taille génère en moyenne 15 000 tonnes équivalent CO2.

Dans le cadre de la transition écologique des festivals et des concerts, le CNM accompagne ainsi les festivals vers un changement de leur modèle (changement de période ou de lieu, recherche de décroissance,…). Le plan d’aide à la transition des lieux initialement doté à sa création de 30 millions d’euros a notamment pu aider des festivals comme le Cabaret Vert via des investissements à  hauteur de 500 000 euros.